(C'est une photo, je ferais un scan... quand je trovuerais un scanner...)
24/05/2013
Illustration - Kazuo
A la suite d'une petite visite dans un festival, j'ai pu trouver un sympathique illustrateur qui a bien voulu croquer pour moi notre cher héros poilu préféré.
Voici donc Kazuo, vu par Thibault Colon de Franciosi !
24/04/2013
L'écorcheur de Lune ~ Troisième chapitre
~ ... en Scylla ~
Le grand océan qui sépare les grands royaumes humains, Erashas et Affraraly des terres de l'Est comprenant l'Empire et la coalition Hrugrak, est une immense étendue d'eau aussi limpide que capricieuse. La Reine des Mers, parfois surnommée l'Impétueuse, est la Déesse titulaire de ces flots en furie, parcourus de tempêtes et de siphons, ainsi que de créatures marines dont la simple conscience de l'existence provoquerait des cauchemars. Un écrivain fit plusieurs récits dépeignant ces monstrueuses créatures se cachant sous la surface des mers, leur prêtant une intelligence supérieur, des intentions peu louables, et vivant dans une gigantesque cité cauchemardesque au plus profond des flots ; mais cet homme devait être particulièrement dérangé.
~¤~
Le soleil nous gratifia de ses éclats
enchanteurs sans qu'aucun nuage ne vienne troubler leur quiétude, et
la matinée s'achevait alors que nous gagnons le port de Peu-Liés.
J'espérais oublier ces rêves étranges, et me convaincre par la même occasion que ce n'était que ça : des rêves. Surtout cette jeune femme dont j'ignorais le nom, car j'avais l'intime pressentiment qu'elle m'attendait quelque
part, et que je ne m'échapperais pas si aisément de ses griffes. J'eus été réveillé par Kettil, qui cherchait Froux, et l'avait
retrouvé blottit contre moi, sans doute à la recherche de ma chaleur
corporel bien plus élevée en raison de l'affinité commune à certains Erashas renard avec l'énergie tellurique, et le feu.
Le jeune
homme semblait m'en vouloir que son compagnon me préfère à lui, et lâcha
pour simple explication que sa majesté céleste n'avait daigné
m'accorder sa grâce que par pitié mais que lui seul était son serviteur
fidèle et dévoué. Cela fit se détendre un peu plus Asdis à mon sujet,
qui semblait apprécier le fait que son ancien fiancé se taise un peu
plus à cause de moi. J'en appris un peu plus en chemin, elle me parla
longuement de sa relation avec Kettil. Lui était un fils de marchand, et
elle une jeune femme de la noblesse, et contrairement à ce que l'on
pouvait penser ce n'était pas politique. Bien que tête-en-l'air, c'était
une bonne âme, un garçon gentil et prévenant, mais il est parti en
voyage pour voir au moins une fois le monde qui l'entourait, et son
incohérence ainsi que sa vénération pour Froux lui était venu à son
retour, délaissant sa promise pour l'adoration de l'animal.
Asdis
aimait bien le petit furet de feu, mais c'était le comportement du jeune
homme le problème. Et bien que j'écoutais ces problèmes, alors que nous
reprenions la route avec Kettil dans le chariot et nous deux à l'avant,
je pensais quand à moi à cette femme aux cheveux et yeux d'argent. Ceci
dit mon amie m'en éloigna alors qu'elle posa sa main sur la mienne, la
serrant légèrement en disant, triste, que son fiancé lui manquait. Cela
m'affecta, et je compatissais sincèrement, imaginant à mon tour ce
qu'Azaléa dut ressentir éloignée de moi, bien qu'Asdis ait quand à elle
son amour à portée, mais sans pouvoir l'aimer...
Le port était
composé d'une agglomération anarchique de petits bâtiments et de
tavernes, s'étalant devant le grand port entouré d'entrepôts. L'activité principal était la pêche, mais aussi le stockage pour quelques rares compagnies marchandes, une majorité préférant atteindre le port un peu
plus lointain de Canturott, à l'est de Kronen, et s'ouvrant sur
l'archipel qui était notre destination ; cependant, sa facilité d'accès impliquait une taxe plus importante... Asdis expliqua son choix, qui
était de partir le plus vite en mer afin d'empêcher le Culte de nous
retrouver, ce que j'approuvais. Même si j'étais armé, ayant passé à la
ceinture le cadeau d'Eilert Bjark, je n'en restais pas moins un piètre
bretteur, bien plus familier de certains arts que j'avais hérité de
ma famille.
Asdis cherchait sur les quais un navire, dont
elle savait que le capitaine nous prendrait et mènerait n'importe où
pour un peu d'or, ayant une réputation de mercenaire n'hésitant pas à
monnayer ses services dans les luttes entre les différents royaumes
insulaires tant pour le transport de troupe que celui de vivres ou de
matériel. C'était le grand John l'Argenté, un filou de la pire espèce
mais surtout un capitaine hors pair, qui avait vu des luttes et bravé
les flots plus d'une fois. C'était un vieux marin à la peau tannée par
le soleil et le temps, ridée et marbrée, de même que ses mains fortes et
son corps bien charpenter sans être imposant. Ses cheveux d'un gris
sale était en partie dissimulé par son chapeau, et son corps emmitouflé
dans un vieil imperméable bleu nuit qui avait du voir passer vagues et
tempêtes. Il attendait quelque chose devant un navire nommé "La
Splendide", et qui était aussi resplendissante que je n'étais funambule professionnel.
Je ne m'y connaissais que très peu en bateau, mais celui-là me
paraissait usé, le bois abîmé par endroit, l'on pouvait voir les
réparations à la coque et les voiles d'un blanc crasseux avait sans
l'ombre d'un doute des marques de rafistolage. C'était sans nul doute le
vaisseau le plus pitoyable qui n'est jamais flotté. Je ne pouvais que me demander comment une fille à l'allure aussi noble et respectable pouvait connaître une canaille à l'air aussi miséreux.
L'Argenté fumait
la pipe en regardant l'horizon, et ce fut Asdis qui l'interpella en
l'appelant par son nom, et il sembla contrarié de la voir, roulant ses
yeux gris dans ses orbites profondes.
"Tu peux toujours me supplier, après ce que m'a fait ton père," il cracha, "je ne te ferai pas monter à bord."
"Mais... mais j'ai de quoi payer !" S'insurgea la jeune femme.
John lui souffla sa fumée âcre au visage.
"Et l'honneur, gamine, avec quoi tu payes quand on te vole ton honneur ?"
"Tout ça pour une histoire vieille de plusieurs années..."
"Et
vois ou j'en suis ! Ton père, damné soit sa carcasse, a réquisitionné
mon bâtiment et vois ce qu'il est devenu ! Un navire des plus
respectable, que j'ai du réparer tant bien que mal avec la misère qu'il
m'a payé. Et puis une fille a bord serait provoquer la jalousie de la Reine des
Mers."
"Je peux pourtant me rendre utile ! Je... je sais cuisiner !" Essaya de négocier la jeune femme
"Même si c'est meilleur que ce que fait le cuistot, c'est non."
"Goûtez au moins, vous me direz des nouvelles. Mon ami à encore un peu de mon pain-surprise."
J'affichai un air surpris en la voyant me désigner, et en se retournant je vis son clin d'œil, et fit mine de soupirer.
"Moi qui voulait en garder..."
Elle fit mine de prendre quelque chose dans mon sac, et plaça ses mains dans son dos.
"Vous m'en direz des nouvelles..." Dit-elle en approchant du marin.
Il
ne se douta pas une seule seconde que la blondinette allait lui collre son
poing dans la figure, et le coup sonna tellement le grand John qu'il
finit par s'écraser mollement sur les fesses, des étoiles devant les
yeux. Asdis le regarda avec un brin de colère, et prit dans sa poche une
bourse qu'elle lui jeta avant de se diriger vers le navire.
"Vous
m'en direz des nouvelles, de mon pain-surprise. En attendant, on
embarque pour l'archipel des Pleurs sans fin, et pas d'entourloupes."
~¤~
Entre les murs de la vieille abbaye
de Kronen, il y avait une grande pièce faisant office de salle du trône,
qui autrefois était la grande salle de l'Eglise du Culte de la Lune. A la place de
l'autel, se dressait un grand trône, et les bancs où s'asseyaient les
fidèles n'étaient plus, laissant un grand espace, donnant une impression de petitesse face au Roi. Derrière le trône, un vitrail
représentant un phénix, emblème de la famille Grim, avait remplacé
celui à l'image de leur Déesse, la Dame Lune. Le reste de leur abbaye
avait été aussi modifié, mais pour les fidèles, seul ce lieu était
réellement important.
Le Roi était parti apaiser la foule et rassurer
la populace, ces paysans ignares et marchands aussi cupides que
ventripotents, de la bienveillance du Culte à leur égard, et du
rétablissement de l'ancienne religion. Leurs hommes d'armes avaient
lentement rouverts les portes de la ville, mais restaient vigilants et
contrôlaient tout le monde. La salle du trône était alors vide, et des
hommes entrèrent dans la salle, par la petite porte dérobée servant au
Roi mais qui désormais reprenant son rôle d'origine, à l'usage des
prêtres, ces derniers venant se placer autour du trône ; aucun d'eux
n'aurait oser s'y asseoir.
Deux d'entre eux étaient jumeaux, leur
peau blafarde et leur tignasse noir leur donnait un air malade, tandis
que leur corps maigre mais étonnamment grands, ainsi que leurs traits
allongés leur donnait une apparence famélique, et un air de
morts-vivants. Tout deux portaient une longue robe mauve, brodée d'un
croissant de lune argenté au torse, de même que l'un de leur camarade,
qui lui était un homme âgé, aux longs cheveux blancs ramenés en un
élégant catogan. Sa barbe était soigneusement taillée, ses petites
lunettes et sa peau parcheminée couverte de ride lui donnait un air
sage, mais son corps vouté et emmitouflé dans une robe trop ample pour
lui cachait la carrure qui indiquait qu'autrefois il était un vaillant
guerrier.
"Tu ne pourrais pas pour une fois venir en personne, plutôt
que nous ramener cette maudite boite de conserve ?" Demanda le vieil
homme.
Il s'adressait à un homme dissimulé sous un épais harnois
articulé, drapé de noir, dont le casque ne laissait par sa feinte voir
que des ténèbres, et il semblait qu'il n'y avait rien d'autre à
l'intérieur qu'un vide glacial d'où s'élevait une voix tout aussi
froide.
"Tu peux rêver, charogne."
"Viens donc me le dire face-à-face !!" Hurla le vieil homme. "De vétéran de guerre à saloperie de vermine !!"
"Silence." Dis posément le cinquième homme.
Il
ne s'agissait pas vraiment d'un homme mais d'un enfant, vêtu d'un
ensemble noir sur lequel était brodé de nombreuses étoiles, représentant
des constellations que pouvaient reconnaître les érudits en la matière.
L'enfant devait avoir à peine plus de dix ans, mais ses traits enfantins
trahissaient une sorte de savoir sans âge, comme s'il avait vu et vécu un nombre incalculable de choses trop lourdes à porter pour son frêle corps, mais qu'il
arrivait malgré tout à supporter. Ses cheveux blonds étaient propres et
bien coiffés, et ses yeux vert clair brillaient d'un éclat malsain. D'un
simple mot il avait fait taire les deux hommes qui se disputaient, et
qui désormais le regardait avec crainte alors que lui-même n'avait pas
daigné poser le regard sur eux.
Le vieil homme osa cependant s'adresser à lui, après un moment de silence.
"Pourquoi un membre du cercle intérieur a-t-il pris la peine de nous convoquer, et de venir en personne ?"
"Idiot." Répondit-il calmement. "Cette affaire inquiète la Haute Instance."
"Mais
c'est notre rôle de faire loi auprès de nos fidèles," intervint
l'armure, "le cercle extérieur a été créé pour faire le lien entre votre
cercle et les autres partisans œuvrant pour la Cause."
"Cette affaire
est assez importante pour qu'elle requiert ma présence, vous plus que
quiconque devriez le savoir, Elysia. Une de ces vermines d'Erasha a
perturbé le cours de la prophétie. Il a pris l'une des Sept de la main
de Celui-qui-a-forgé. Ça n'aurait jamais du arriver." Il marqua une
pause. "Faite entrer le traître, qu'il réponde de ses actes devant le
cercle extérieur... et devant moi."
~¤~
Ayant
déjà fait nombres de voyages en mer, je n'avais plus ce mal de
transport. Kettil était, aux dires d'Asdis, un fils de marin, et elle-même
fréquentait ports et bateaux depuis son plus jeune âge. Cela aurait été
en effet des plus cocasse que l'un de nous eux le mal de mer, mais ce
n'était pas le cas, fort heureusement. Le voyage commença d'ailleurs sur
une mer calme, peu agitée, alors que nous remontions vers l'Est puis le
Nord. Durant toute la semaine,il n'y eut aucun problème. Le Capitaine
nous supportait, beuglait ses ordres et buvait du rhum, tandis que notre
petit trio discutait de choses et d'autres.
J'aurai cru qu'il nous
arriverait malheur, mais rien ne se produisit tout au long de notre
périple. Nous aperçûmes plusieurs îles au loin, mais d'après le
Capitaine aucune d'elles n'étaient notre destination ; il semblait
connaitre la mer bien mieux que nous. Finalement, nous arrivâmes en vue
de nombreux îlots au loin, et le Long John l'Argenté s'écria
-Nous arriverons à bon port demain midi ! J'ai hâte de vous lâcher, les morbacs, ça me démangeait de vous en collait une !
~¤~
Alors
que Kazuo et ses compagnons étaient à bord d'un navire, mais bien avant
leur départ, l'abbaye de Kronen était le théâtre d'une bien étrange
assemblée. Les cinq sages du temple étaient rassemblés, ayant cessé leur
querelles sur ordre du plus jeune -qui était leur supérieur- pour
laisser entrer celui qu'ils devaient juger. Deux gardes en armure
d'apparat arrivèrent, portant à bout de bras un jeune homme à bout de
force. C'était un Erasha, mais bien différent de Kazuo, car celui-ci était
affilié aux chauve-souris. Ses yeux aveugles étaient fermés, et ses
longues oreilles couverte d'un fin duvet dépassaient de sa chevelure
châtain foncé, contrastant avec sa peau d'une blancheur maladive. Ses
bras formaient des ailes, de la membrane s'étirant entre ses longs
doigts, et seuls deux petites griffes à ce qui lui servait de poignets
pouvaient lui servir à agripper quoi que ce soit. Ses pieds étaient
énormes, et ressemblaient plus à des griffes lui permettant de se
suspendre, de même ses genoux étaient inversés, se pliant dans le sens
contraire à celui des humains, et ses jambes puissamment musclées
étaient aussi recouverte de fourrure, tout comme son cou.
L'Erasha gémissait alors qu'on le traînait, visiblement peu à l'aise sous la
lumière qui s'étendait dans la salle à travers le motif du vitrail.
L'enfant s'assit sur le trône, encadré de ses sujets, et toisait d'un
air mauvais l'homme ailé qui était jeté à ses pieds par deux hommes
portant un tabard noir orné d'un croissant de lune par-dessus une
chemise de maille, et arborant une épée longue chacun à la ceinture.
"Wayne," prononça l'enfant d'une voix forte, "sais-tu pourquoi tu es ici ?"
La chauve-souris ricana d'une voix grinçante et aigu.
"Pour être puni d'avoir fait ce qui était juste..."
"Nous
avons trouvé dans tes affaires une correspondance avec celui que l'on
nomme "Orwell". Tu as averti un étranger de notre venue, pour qu'il
envoie quelqu'un se mettre en travers de notre route !"
La voix de
l'enfant était étonnamment forte, et résonnait furieusement dans
l'immense salle du trône. L'Erasha se recroquevilla un instant, comme paralysé par la peur, avait de se laisser aller à rire aux éclats, faisant à son
tour vibrer la pièce d'une démente hilarité.
"Votre route ?! Quelle
arrogance ! Ne sommes-nous pas le Culte de la Lune ? N'avons-nous pas un
credo à suivre ?!" Il se dressa fièrement, faisant disparaître son
sourire et posant ses yeux clos sur le groupe qui le toisait. "Je sers
les intérêts de la Déesse, et non les vôtres..."
"Que crois-tu ?" Cracha le vieux guerrier. "Que nous avons reconquis cette ville pour notre bon plaisir ?"
"Je
ne parle pas de cela... je sais ce que vous voulez faire, Elle me l'a
montrée. Sacrifier ce que nous avons de plus cher... rien ne justifie ça
!!"
Le jeune homme devint rouge de rage.
"Nous devons accomplir la prophétie, c'est notre devoir !"
"Et vous la regarderez mourir sans rien faire s'il le fallait ?" S'enquit Wayne, d'un ton acide.
"Nous n'hésiterions pas. Plutôt la tuer que de la laisser entre leurs mains..."
"Alors je n'ai aucun regret..."
Il
poussa un cri strident qui fit chanceler tout les hommes dans la pièce,
et trembler le vitrail. D'un bond agile il s'éleva dans les airs,
déployant largement ses ailes, comme un être révélant à la lumière du
jour sa ténébreuse grâce tout droit sortie de la nuit... Battant de ses
ailes membraneuses, il prit de la hauteur et fonça vers le vitrail,
hurlant de plus belle et faisant éclater le verre en millier de petits
éclats colorés, dansant dans le soleil comme autant d'étoiles en plein
jour, au milieu desquels un ange de la nuit passait.
Mais des perles
rouges commencèrent à goutter puis couler sur le sol. Un trait d'énergie
venait de percer le torse de Wayne, laissant un trou d'où le sang
s'échappait comme la vie qui commençait à s'éteindre dans ses yeux
aveugles, s'ouvrant avec étonnement tout en cherchant au travers de l'obscurité, avant de mourir, le jeune homme qui avait la main levée, grésillant encore d'énergie, et qui venait de lui arracher la vie. Un
dernier râle s'échappa entre les lèvres de l'Erasha, qui continua sa descente
jusqu'à passer de la lumière à l'ombre d'une ruelle, son corps sans
vie s'écrasant dans un bruit d'os brisés.
~¤~
Bien loin de ces évènements sordides, un homme contemplait d'un air
concentré un plateau sur lequel était dessiné un motif complexe, fait de
courbes s'entrecroisant et formant une étrange mosaïque où le regard se
perdait au fil de ses arabesques entrelacées. C'était dans un salon
assez spacieux aux murs couverts de plaques de bois, quand ils n'étaient
pas composés de plaques coulissantes, faites de cadres de bois sur
lesquels étaient tendus des tissus traités contre l'eau et le vent. Ils
offraient à la pièce une lumière tamisée, et une fois ouverts, donnaient
sur un long balcon offrant vu sur l'océan.
C'était un homme âgé,
mais dont il se dégageait une impression de force et de respect. Plutôt
grand, il était assis sur une pile de coussin et observait en silence
des petites tuiles de bois, recouvertes chacune d'un symbole étrange,
réparties sur le motif apparemment au hasard. Le vieil érudit avait de
longs cheveux noirs, une bonne partie cascadant dans son dos mais
certains étaient rassemblé en un élégant chignon maintenu par une
baguette de métal.
La robe qu'il portait était couverte d'un motif de
flammes stylisées, autour de la taille une ceinture rouge vif était
nouée, et elle avait des manches amples d'où sortaient ses mains ridées
aux doigts un peu crochus. Il bougeait distraitement les pièces de bois,
pensif, son visage marqué par l'âge gardant des traces d'une vivacité
d'esprit importante, que son regard couleur d'acier transmettait en même
temps que sa grande sagesse au travers de ses yeux bridés. Une longue
et fine moustache descendait plus bas que son menton, et ses lèvres
étaient tirés en une moue de réflexion intense.
Dans la pièce
couverte d'un parquet en bois, il n'y avait que cette table, assez
basse, autour de laquelle des coussins étaient éparpillés afin de
s'asseoir. Mais si rien d'autre n'occupait le grand espace qui composait
la salle, les murs eux étaient mis à contribution, de nombreuses armes y
étant accrochés. Il y en avait de toutes sortes et origines, venant du
monde entier, allant du couteau recourbé manié par les Arracheurs de
Peaux Tanathos à la lance à lame dentelée des Sans-Vie de la Cité
Délétère, en passant par le fléau d'arme des Erashas Hérissons des Collines
d'Émeraudes.
Toutes ses armes potentiellement dangereuses et
soigneusement entretenues étaient exposées selon un ordre bien précis,
et, juste au-dessus de la porte coulissante permettant de sortir, sur un
présentoir plus imposant que les autres qui indiquaient simplement
d'une petite plaque en cuivre la provenance de l'objet, il y avait un
unique mot, gravé avec soin, juste en dessous d'un katana à la lame
noire dont la surface était telle un miroir, donnant une apparence
d'obsidienne au métal légèrement recourbé avec sous le tsuba en or une
poignée couverte d'un long ruban rouge ; et ce mot n'était autre que "Kishin".
Brusquement,
un jeune homme entra non sans précipitation dans la pièce, manquant de
trébucher alors qu'il s'approcha de son maître. Il était vêtu d'une
tunique marron assez sobre, tout comme son pantalon, et, entre quelques
halètement signe d'une course effrénée, il dit au vieil homme qui ne
daigna même pas le regarder :
"Maître Daisuke... le conseiller Haruki... vous fait mander... une missive est arrivé et... le forgeron... il est..."
"Mort." Répondit simplement Daisuke. "C'est étrange. Le Jeu aurait du commencer autrement."
Le
vieil homme croisa les bras, et sur la table, certaines pièces se
mirent à bouger toutes seuls, lentement, glissant en même temps vers
d'autres positions. Sur l'une des pièce apparut une flamme verte, qui
dévora le morceau de bois jusqu'à ce qu'il disparaisse, ne laissant pas
de cendres, ni aucune trace de sa présence.
"Dites au conseiller que
j'arriverai bientôt. La partie n'a fait que commencer, et les règles
changent déjà... j'ai hâte de voir le prochain coup..."
Rédigé par Maître Renard
16/04/2013
L'écorcheur de Lune ~ Second chapitre
~
De Charybde... ~
En des temps anciens, alors que nul royaume n'avait d'existence, et que la terre était encore vierge de toute culture, lors d'une nuit de pleine lune, un enfant se perdit dans une sombre forêt. Se retrouvant seul en une clairière, sous le regard de l'astre lunaire, il se mit à pleurer. Touchée par sa détresse, la Déesse de la Lune prit forme devant l'enfant, le baignant de sa douce lumière.
"Sèche tes larmes, je vais te guider jusqu'aux tiens."
Le jeune garçon vit se tarir ses larmes, et saisit la main de Dame Lune, qui éclaira les sombres bois d'un halo argenté, et disparut quand le feu du camp où étaient sa famille fut visible. En grandissant, il n'oublia jamais qu'un jour un esprit d'une grande beauté avait ressenti quelque chose pour lui. Le visage et le corps si majestueux ne quitta pas ses pensées, et il finit par revenir maints et maints fois dans la clairière, toutes les nuits de pleine lune, à implorer cette dernière de venir à nouveau le voir. Mais la Dame avait pu voir dans le cœur de l'homme la flamme qui l'animait, or elle était un astre et lui un être de chair et de sang...
La passion se tarit et l'homme finit par être rongé par le chagrin, ce dernier se muant en haine...
Il jura de se venger de la Lune, qui lui avait tendu la main pour ensuite l'abandonner, de n'avoir aucun repos avant d'avoir vu son désir exaucer. Et depuis ce jour, jamais elle ne redescendit des cieux, pour qu'aucun homme ne puisse à nouveau s'éprendre d'elle et en venir à la haïr.
~¤~
"Vous allez me dire pourquoi vous...?"
"Non." Trancha la jeune femme.
"Il va bien finir par se réveiller, et il va falloir s'expliquer, jeune dame."
"Sauf si je l'assomme à nouveau." Rétorqua-t-elle froidement.
"Vous risquez de nuire à ses facultés mentales."
"Pour ce qu'il en reste..."
Cela faisait déjà une bonne heure que nous étions montés sur une carriole remplie de foin devant appartenir à un paysan, et la dénommée Asdis ne me laissa guère le choix, embarquant à bout de bras Kettil vers la charrette qui semblait l'attendre, avec deux ânes pour la tirer vers le port de Peu-Liés. Elle souleva le jeune homme et l'envoya reprendre ses esprits avec la cargaison, avant de monter prendre les rennes. Je n'aurais sans doute pas du m'en mêler, mais quand je sentis Froux grimper rapidement jusque sur mon épaule, et me donner un coup de langue affectueux sur la joue, croyez-le ou non j'eus pris le parti de ne pas laisser ce pauvre garçon en les mains d'une jeune femme qui semblait ne pas le porter dans son cœur.
Elle devait avoir une vingtaine d'année, sans doute un âge proche de celui de Kettil, et était assez jolie même si dans ses yeux bleus brûlait une flamme laissant clairement entrevoir qu'il valait mieux ne pas la contrarier. Elle était vêtue plutôt simplement, comme on pourrait s'y attendre de la part d'une paysanne, même si sa peau claire et ses boucles d'oreilles ayant l'air plutôt chères témoignaient d'un milieu plus aisé. Ses cheveux étaient blonds comme les blés, et elle devait avoir attachés l'arrière de sa chevelure sous le bandana qu'elle portait, laissant quelques mèches encadrer son visage.
"Bien, si vous ne voulez pas parler de Kettil, éclairez-moi au moins sur ce qui vient de se passer en ville."
"C'est sûr qu'avec tes oreilles et ta queue, tu dois être un peu paumé. Faut dire que les Erashas sont pas trop présents par ici, vous êtes plus dans les terres alors que par ici on commerce avec les empires insulaires..."
"Mais encore ?..."
"Bref," trancha-t-elle, "c'est sûr que vous autres vous connaissez pas trop notre histoire... La lune a toujours eu beaucoup d'importance dans notre Royaume, ses cycles pour les cultures, son attraction pour les marées... autant dire que la Déesse a toujours eu une place de choix dans nos cœurs, au détriment d'autres déités."
"Croyez-moi, pour avoir voyagé loin, la lune a toujours une place de choix au panthéon." Précisais-je. "Et ce Culte, serais-ce une divinité oubliée qui concurrence la vôtre ?"
"Oh non, le Culte de la Lune est au contraire un ordre s'étant formé ici en même temps que le royaume. Mais sous prétexte d'une menace que seuls leurs grands prêtres connaissaient, ils commencèrent à taxer les paysans, afin de créer une milice pour protéger les villes, et assurer la protection de leurs fesses. La famille royale finit par renverser la tendance, et botter le train de ces dégénérés. Tous les textes religieux, et ce qui les concernait fut détruit par les flammes qui dévorèrent leur abbaye, avant qu'elle soit reconvertie en palais."
"Charmant..."
"C'était il y a quatre générations. Le seul à encore savoir quelque chose sur eux, c'est Eilert Bjark, mon arrière-grand-père."
Je regardai dans le lointain, un léger sourire pendu à mes lèvres, murmurant dans le vague :
"Fortuna est avec nous..."
"Qui ?"
"Fortuna, la Déesse de la chance au deux visages, qui peut aussi bien se montrer bonne que mauvaise. Elle appartient au panthéon des terres de l'Ouest et du Nord."
"Et pourquoi dis-tu cela ?" Demanda-t-elle, suspicieuse.
"Ma mission était de délivrer un message à votre arrière-grand-père." Elle posa sur lui un curieux regard, semblant vouloir en savoir plus. "Je suis un coursier, sans plus. J'ignore le sens du message. Ça l'avertissait d'un éventuel retour du Culte, et quelque chose à propos des "larmes de Kishin", mais là encore je ne sais pas ce que c'est. Une idée ?"
La jeune femme resta pensive, les yeux tournés vers le ciel. Son visage avait quelque chose qui me faisait penser à un diamant, matière brute et résistante mais qui, une fois taillée, révélait une beauté, une fragilité apparente qui avait quelque chose de touchant. Elle lâcha un soupir et posa ses yeux durs sur le chemin que nous suivions, ne daignant pas me regarder. Cet Asdis était sans nul doute une fille de la noblesse, cela se ressentait à son silence, qui semblait réfuter avec style mon existence ; mais elle finit par me répondre.
"Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je comptais aller quérir l'aide de la famille impériale de l'archipel des Pleurs sans Fin. Grand-papy y a vécu dans sa jeunesse, et était très ami avec le grand-père de l'actuel Empereur."
"Très bien, je suis des vôtres."
"Hors de question, un étranger n'a pas à se mêler de nos affaires !"
Sous le cou d'une impulsion, je glissai mes mains sous le tissu et empoignai l'arme qui était posée sur mes genoux, et la dégainai afin de la brandir vers le soleil. C'était une arme exceptionnelle, sa lame était noire, et sa surface réfléchissante, fine, longue, et d'une étonnante légèreté. La garde était courte et plaquée d'argent, contrastant avec la noirceur de l'arme, alors que la poignée était en cuir soigneusement traité. Il n'y avait pour pommeau qu'un petit cristal sphérique qui brillait comme habité par le feu quand le soleil le frappait. Même dans mes habits des plus modestes, je donnais l'impression d'être un prince en brandissant cet arme.
"Elles le sont depuis que j'ai accepté de porter ce courrier, et encore plus lorsque votre parent m'a confié cet épée."
Je la rengainai, et constata que le fourreau était en cuir tout simple, et ne rendait pas hommage à la beauté de l'arme. Sans doute pour éviter les tentations. Le reste du voyage se fit silencieux au début, avant que nous n'échangeâmes quelques banalités, et finîmes par nous détendre et même rire un peu. Derrière nous, nous pouvions entendre Kettil ronfler, Froux blottit sur sa poitrine.
Nous fûmes arrivés au port de Peu-Liés juste avant la nuit, mais nous restâmes à bonne distance, si bien que je ne pus voir la cité, perdue dans l'ombre à l'est du mont Peu-Liés. Asdis m'apprit que le nom de ce port vient du fait que les marins qui y vivent viennent de nombreux horizons, et n'ont pas réellement de foyer ancré en ces terres où en une autre. En réalité, ils sont fils de l'océan, et peu liés à la terre qui les a vu naître, car leurs cœurs appartient à l'embrun qui les aspergent lorsque les caprices de l'Impétueuse, ou Manami comme l'appelle les impériaux, la Déesse des flots aussi capricieuse que magnifique à en croire les légendes transmises parmi les marins.
Nous fîmes un feu, et profitions des provisions que j'avais eu la prévenance de prendre en cas de coup dur, ne sortant que quelques morceaux de viande séché pour chacun, gardant pour plus tard le reste, sinon faire des provisions serait un effort bien inutile. La nuit tombait et je sentais une curieuse tension entre mes compagnons depuis que Kettil, quelques heures auparavant, avait repris connaissance, une sorte d'électricité dans l'air qui me dérangeait. Je sortis de mon sac une fine couverture de laine, et me mit en place pour dormir, me servant dudit sac comme coussin.
"Puisque vous semblez peu prompt à engager une conversation autre qu'au travers de regards ponctuant vos longs silences lourds de sens que seuls vous comprenez, je vais dormir."
"Mais c'est elle qui... !" Commença Kettil, avant qu'Asdis ne lui lance un regard venimeux.
"Bien." Lâcha-t-elle, un soupçon de tristesse perceptible au fond de sa voix. "Lui et moi nous connaissons, et même bien. Si tu veux tout savoir Kazuo, avant qu'il ne devienne ce crétin écervelé obnubilé par sa peluche, Kettil était mon fiancé.
Puis elle nous laissa là, le jeune homme regardant les flammes, impassible, et moi abasourdi par la révélation. Asdis s'en alla s'allonger dans le foin, et alors que je me couchais, il me semblait entendre des pleurs.
~¤~
C'était comme s'il s'était retrouvé perdu dans les plaines du Bout du Monde, bien que les ténèbres qui l'entouraient ne lui permettait de rien discerner, il avait l'intime conviction qu'autour de lui régnait un vide absolu, sans fin, sans consistance, ce qui pouvait se rapprocher le plus du néant. Il n'y avait que le sol, un sol plat, sans aspérité, et alors qu'il fit quelques pas, l'Erasha avait l'intime conviction que le sol resterait ainsi, où qu'il aille. Une plaine infinie, sans début ni fin, sans distinction. Kazuo n'était rien, quelque part dans un immense rien.
Il avança, avança, parcouru ce qui semblait être un océan de ténèbres dont le silence pesant était seulement troublé par le bruit étouffé de ses bottes, quand soudain quelque chose perça les ténèbres : une lueur rouge se fit voir, et le renard à l'allure humaine s'en approcha à pas prudent. Son corps finit par être baigné d'un éclat carmin, alors qu'il vit se dessiner devant lui un bassin creusé dans la roche, rempli de ce qui semblait être du sang. Sa surface était aussi lisse que pouvait l'être le sol, nullement irisé par un quelconque courant d'air. Et, alors qu'il n'était qu'à quelque pas d'elle, l'eau fut parcourue par une onde, un frisson, puis quelques autres, avant que quelque chose ne vienne percer sa surface. Deux mains jointes émergèrent, les bras s'écartant d'une façon un peu théâtrale à mesure qu'ils remontaient, alors que l'être semblait surgir de l'eau comme par enchantement. De longs cheveux noirs masquaient son visage, ruisselant de sang, tout comme sa peau qui luisait de l'éclat rouge malsain qui se dégageait de son sinistre bain. Il posa les mains sur le rebord, et leva la tête pour fixer ses yeux d'un bleu glacial, froid comme la mort, sur Kazuo.
"Alors ce serait toi, le fameux Eilert Bjark..." Lâcha-t-il d'une voix douce, mélodieuse, mais qui arracha à Kazuo un frisson de peur...
"Vous vous méprenez monseigneur, je ne suis pas l'homme que vous recherchez."
L'homme plissa les yeux, et observa celui qui lui faisait face de haut en bas, détaillant chacune des parcelles de son corps que pouvait révéler la lueur rouge du bassin dans lequel il trempait. Puis ses yeux s'éclaircir, comme s'il avait une révélation. Il regarda alors ailleurs, l'air pensif, comme s'il observait quelque chose perdu dans l'océan insondable de noirceur les entourant.
"Ce n'était pas censé se passer ainsi... ce n'aurait pas du être lui qui fut en ce lieu..."
"Pardonnez-moi mais qu'est cet endroit au juste ?"
Reportant ses yeux d'un bleu arctique sur le renard, l'homme le contemplait avec méfiance, tout en gardant un rictus amusé au coin des lèvres. Il semblait se délecter avec amusement de la question qui lui était posée, comme si la réponse était évidente, et les interrogations de Kazuo ne faisaient que grandir, notamment sur l'état mental de l'individu qui devant lui se baignait dans ce qui semblait être du sang.
"Tu es toujours là où tu te trouvais tout en étant à milles lieux de là-bas. Tu es partout et nul part à la fois, cet espace existe sans exister ; il est le reflet de ce que nous sommes, façonné par notre volonté. Vous appeler ça un rêve, mais ceux dont la force d'esprit est implacable lui donne matière hors des limites de la chair."
"C'est un rêve ?" S'enquit Kazuo, perplexe.
L'homme éclata d'un rire froid, qui résonna avec force autour d'eux.
"Non, ton esprit a été attiré ici, dans ce monde né du mien. Ce lieu existe sans exister, il n'est que le fruit de ma volonté, et la volonté y fait loi. Je suis loi."
Comme pour illustrer ses dires, le vent se mit à souffler, venant caresser les cheveux de feu de Kazuo, et ceux noirs ail-de-corbeaux de son sinistre interlocuteur. Un moment de tension passa entre les deux individus, le silence se fit alors qu'ils se toisèrent, le renard cherchant une logique, une échappatoire, tandis que l'homme au regard de glace jaugeait avec attention l'Erasha captif d'un rêve qui tenait plus du cauchemar.
"Qui êtes-vous ?" Demanda Kazuo, d'une voix neutre, pesant ses mots avec prudence.
"Je suis loi." Répéta-t-il simplement, esquissant aux coins de ses lèvres un sourire.
"Alors vous vous nommez Loi ?" Rétorqua le rouquin.
Un rictus méprisant s'empara des traits creusés par la maigreur du sombre homme.
"C'est comme ça que tu me nommeras, bâtard engendré par la pitié, et que le monde me connaîtra quand tous s'agenouilleront devant moi !" Il frappa le sol du poing, faisant clapoter l'eau alors que son corps semblait bouillir de rage. "Un autre aurait du se tenir à ta place, tremblant de peur et caressé par ma divine lumière..."
Son corps se mit à irradier d'une lueur blanche, alors qu'il levait les bras vers le ciel et relevait la tête, et le renard put le regarder plus en détail. Son corps était jeune, finement musclé, et faisait sans doute de lui un impitoyable guerrier, mais quelque chose en cet homme paraissait vieux, usé, comme brisé par la vie et perdu dans des pensées d'un autre temps, que seul lui pouvait percevoir. Le regard voilé de noirceur, il le plongea dans celui de Kazuo.
"Que tu sois ou non Bjark, cela ne changera rien. Donne-la moi ou tu mourras."
"Donner quoi ?" S'enquit le concerné, un peu inquiet.
"Alors tu ignores tout... ou tu tiens à mourir," siffla-t-il. "Soit, je ne le répéterais pas deux fois."
Levant la main vers le rouquin, ce dernier sentit un frisson le parcourir. Les ombres autour de lui semblèrent s'animer, danser sous l'effet de la fureur de l'étrange ; des formes étranges, menaçantes, firent s'éveiller en l'Erasha un soupçon de crainte, de peur, alors que tout ce néant l'entourant sembla se dresser contre lui... Une main se forma, s'insinuant lentement dans son dos, vers sa gorge, et les griffes immatérielles enserrèrent pourtant réellement la trachée de Kazuo, qui ne put que se débattre, les poils hérissés, alors qu'il commençait à suffoquer face à cet ennemi intangible, face au regard chargé de froid qui semblait briller d'une malsaine malice. Mais, alors que l'oxygène lui manquait sous l'effet des phalanges d'ombres, quelque chose sembla glisser entre ses doigts : une poignée dont il se saisit, désespéré, et, instinctivement, brandit l'épée qui s'était frayé un chemin jusqu'à ses doigts, tranchant e se retournant le bras ténébreux qui le privait d'air. L'homme poussa un hurlement, fou de douleur, mais Kazuo reporta son regard vers la lame, et se rendit compte qu'il s'agissait de l'épée de Bjark.
"Monstre !! Tu l'as amenée ici, dans mon sanctuaire !! Je... je..." La rage se changea en peur, pour redevenir une colère monstre qui se dirigea vers les ténèbres par-delà la lumière émanant de l'homme. "Garce, je te tuerais tu m'entends !! Je t'arracherai la peau astre de malheur, je t'écorcherai, comme tous les autres !!"
Puis une lumière irradia le paysage, et tout disparu.
~¤~
"Lève-toi,
mon être aimé." Murmura avec douceur une voix féminine à mes
oreilles poilues.
"Azaléa ?" Lui répondis-je.
D'un rire cristallin la voix m'offrit sa réponse, qui semblait être non, et je me rendis compte que ce n'était pas la voix de mon amour de jeunesse, Azaléa, une jolie Erasha renarde au tempérament enflammé qui avait su me captiver. Mais après notre adolescence je suis parti en voyage, promettant de revenir un jour, et lui demandant de ne pas m'attendre. J'étais jeune, ivre d'aventure, et ce n'est qu'à mon retour, découvrant que ma mère était sur le point de rendre son dernier souffle, que je compris que l'amour était une chose importante. A Val l'Ancienne, je retrouvais au seuil de la maison familiale son père qui m'annonça d'une triste voix qu'elle était mariée, même s'il n'appréciait guère son marin, à l'inverse de moi. Je n'ai pas cherché à en apprendre plus, et ais trouvé ce travail auprès d'Orwell. J'oubliais bien vite les tracas amoureux, et me laissa aller à mes penchants aventureux ; la vie était pleine de surprise, après tout.
Et c'est pour cela que je décidai d'ouvrir les yeux ; et je fus tout d'abord ébloui par la lumière diffuse qui me baignait. J'étais allongé sur une surface cotonneuse, douce, et en me relevant, mes yeux habitués observèrent ce qui m'entourait. J'avais l'impression de me retrouver dans un lieu exactement comme celui que je venais de quitter, mais en étant son inverse opposé. Tout était baigné d'une lumière douce, et même si je ne distinguais rien dans cet espace immense, il ne semblait pas oppressant. Des flocons de neige voletaient tout autour de nous, mais il faisait chaud, et le sol sur lequel nous étions faisait penser à un nuage, si tant est que ces derniers fussent moelleux.
Et je dis nous car je n'étais, bien entendu, pas seul.
"Je suis heureux de te parler, toi que j'aime plus que tout au monde."
"Excusez-moi mais... on se connait ?" Demandais-je, intrigué.
"Bien sûr que non. Pas sous cette forme du moins..."
C'était une jeune femme qui ne devait guère avoir plus de vingt-six ans. Elle avait un petit nez et un air mutin accentué par son sourire, ses lèvres fines révélant de belles dents blanches. Ses yeux étaient d'un gris loin d'être terne, brillant, et dans lesquels on pouvait voir luire selon la lumière de petits éclats de bleu, de rouge, de vert... de toutes les couleurs. Ses fins sourcils accentuaient son regard charmeur, de même que ses longs cils. Ses oreilles étaient dissimulés sous sa longue chevelure encadrant le visage en ovale de la jeune femme, les mèches argentés descendant jusqu'au bas de ses reins, suivant la délicate courbe de son corps. Sa poitrine n'était pas des plus généreuse, mais cela ne nuisait en rien à l'harmonie de ses formes, couvertes par une robe blanche et fine, laissant ses avant-bras nus de même que le bas de ses cuisses, qu'elle mettait en valeur en s'étant assis sur le côté, comme si elle cherchait à me charmer, impression confirmé par son regard, traduisant une grande fascination à mon égard.
"Tu es ce héraut qui me sauvera, n'est-ce pas ?"
"J'ignore même qui vous êtes, ma dame." Lui répondis-je.
Elle rit.
"Les réponses viendront en leur temps. J'ai écarté notre ennemi de toi pour cette nuit, et je te protégerais les suivantes. Tu n'as rien à craindre tant que tu es avec moi." Elle marqua une pause, et posa sa main sur la mienne. "Ecoute, il y a longtemps des hommes ont écrits une prophétie à mon propos, ont déjà décidé de mon avenir et fait en sorte que ce terrible destin m'arrive ; mais ce n'est qu'une possibilité, même les Dieux ne peuvent voir que des chemins qui s'ouvrent dans l'avenir, et il n'appartient qu'à nous d'emprunter ceux que nous voulons. Mais je ne suis qu'un astre, une Déesse des Cieux, et je ne peux changer le destin que choisissent les hommes."
"Je... je ne saisis pas tout ce que vous racontez, là..." Avouais-je, un peu confus. "Je dois être fatigué avec ces... rêves..."
"Tu es futé, mon amour de renard, mais c'est peut-être un peu trop pour toi. Il y aurait beaucoup à dire, et je dois faire vite, venir à toi m'épuise. Continue ta route mon preux chevalier à la fourrure rousse, la vérité se trouve dans le métal qui a divisé les hommes..."
"Je suppose que ces paroles finiront par avoir du sens." A ma remarque, elle rit, et je fis de même. "Vous êtes belle, ma dame, mais je préfère me montrer prudent. Vous le comprenez je suis sûr, et je verrai comment tourne les évènements. Tout ceci semble me dépasser..."
J'étais assis sur le sol, jambes étendues, et elle vint à me rallonger non sans douceur, avec un air mutin, avant de passer à califourchon sur moi en riant aux éclats. Je l'accompagnai, d'un rire léger, et plongea mes yeux dans les siens, mais j'eu l'impression que cela était si... faux... un doux parfum me titillait les narines, enivrant mes sens, et son regard, ses yeux aux reflets arc-en-ciel... quelque chose en moi hurla, et, mon cœur s'affolant, je repoussai quelque peu brutalement la belle jeune femme, et reculai, la respiration haletante, me sentant piégé par les charmes enjôleur de cette créature de rêve... Elle me toisa sans bouger, me jaugeant, un éclat étrange dans le regard, dangereux, avant d'animer ses lèvres d'un sourire peu rassurant...
"Azaléa ?" Lui répondis-je.
D'un rire cristallin la voix m'offrit sa réponse, qui semblait être non, et je me rendis compte que ce n'était pas la voix de mon amour de jeunesse, Azaléa, une jolie Erasha renarde au tempérament enflammé qui avait su me captiver. Mais après notre adolescence je suis parti en voyage, promettant de revenir un jour, et lui demandant de ne pas m'attendre. J'étais jeune, ivre d'aventure, et ce n'est qu'à mon retour, découvrant que ma mère était sur le point de rendre son dernier souffle, que je compris que l'amour était une chose importante. A Val l'Ancienne, je retrouvais au seuil de la maison familiale son père qui m'annonça d'une triste voix qu'elle était mariée, même s'il n'appréciait guère son marin, à l'inverse de moi. Je n'ai pas cherché à en apprendre plus, et ais trouvé ce travail auprès d'Orwell. J'oubliais bien vite les tracas amoureux, et me laissa aller à mes penchants aventureux ; la vie était pleine de surprise, après tout.
Et c'est pour cela que je décidai d'ouvrir les yeux ; et je fus tout d'abord ébloui par la lumière diffuse qui me baignait. J'étais allongé sur une surface cotonneuse, douce, et en me relevant, mes yeux habitués observèrent ce qui m'entourait. J'avais l'impression de me retrouver dans un lieu exactement comme celui que je venais de quitter, mais en étant son inverse opposé. Tout était baigné d'une lumière douce, et même si je ne distinguais rien dans cet espace immense, il ne semblait pas oppressant. Des flocons de neige voletaient tout autour de nous, mais il faisait chaud, et le sol sur lequel nous étions faisait penser à un nuage, si tant est que ces derniers fussent moelleux.
Et je dis nous car je n'étais, bien entendu, pas seul.
"Je suis heureux de te parler, toi que j'aime plus que tout au monde."
"Excusez-moi mais... on se connait ?" Demandais-je, intrigué.
"Bien sûr que non. Pas sous cette forme du moins..."
C'était une jeune femme qui ne devait guère avoir plus de vingt-six ans. Elle avait un petit nez et un air mutin accentué par son sourire, ses lèvres fines révélant de belles dents blanches. Ses yeux étaient d'un gris loin d'être terne, brillant, et dans lesquels on pouvait voir luire selon la lumière de petits éclats de bleu, de rouge, de vert... de toutes les couleurs. Ses fins sourcils accentuaient son regard charmeur, de même que ses longs cils. Ses oreilles étaient dissimulés sous sa longue chevelure encadrant le visage en ovale de la jeune femme, les mèches argentés descendant jusqu'au bas de ses reins, suivant la délicate courbe de son corps. Sa poitrine n'était pas des plus généreuse, mais cela ne nuisait en rien à l'harmonie de ses formes, couvertes par une robe blanche et fine, laissant ses avant-bras nus de même que le bas de ses cuisses, qu'elle mettait en valeur en s'étant assis sur le côté, comme si elle cherchait à me charmer, impression confirmé par son regard, traduisant une grande fascination à mon égard.
"Tu es ce héraut qui me sauvera, n'est-ce pas ?"
"J'ignore même qui vous êtes, ma dame." Lui répondis-je.
Elle rit.
"Les réponses viendront en leur temps. J'ai écarté notre ennemi de toi pour cette nuit, et je te protégerais les suivantes. Tu n'as rien à craindre tant que tu es avec moi." Elle marqua une pause, et posa sa main sur la mienne. "Ecoute, il y a longtemps des hommes ont écrits une prophétie à mon propos, ont déjà décidé de mon avenir et fait en sorte que ce terrible destin m'arrive ; mais ce n'est qu'une possibilité, même les Dieux ne peuvent voir que des chemins qui s'ouvrent dans l'avenir, et il n'appartient qu'à nous d'emprunter ceux que nous voulons. Mais je ne suis qu'un astre, une Déesse des Cieux, et je ne peux changer le destin que choisissent les hommes."
"Je... je ne saisis pas tout ce que vous racontez, là..." Avouais-je, un peu confus. "Je dois être fatigué avec ces... rêves..."
"Tu es futé, mon amour de renard, mais c'est peut-être un peu trop pour toi. Il y aurait beaucoup à dire, et je dois faire vite, venir à toi m'épuise. Continue ta route mon preux chevalier à la fourrure rousse, la vérité se trouve dans le métal qui a divisé les hommes..."
"Je suppose que ces paroles finiront par avoir du sens." A ma remarque, elle rit, et je fis de même. "Vous êtes belle, ma dame, mais je préfère me montrer prudent. Vous le comprenez je suis sûr, et je verrai comment tourne les évènements. Tout ceci semble me dépasser..."
J'étais assis sur le sol, jambes étendues, et elle vint à me rallonger non sans douceur, avec un air mutin, avant de passer à califourchon sur moi en riant aux éclats. Je l'accompagnai, d'un rire léger, et plongea mes yeux dans les siens, mais j'eu l'impression que cela était si... faux... un doux parfum me titillait les narines, enivrant mes sens, et son regard, ses yeux aux reflets arc-en-ciel... quelque chose en moi hurla, et, mon cœur s'affolant, je repoussai quelque peu brutalement la belle jeune femme, et reculai, la respiration haletante, me sentant piégé par les charmes enjôleur de cette créature de rêve... Elle me toisa sans bouger, me jaugeant, un éclat étrange dans le regard, dangereux, avant d'animer ses lèvres d'un sourire peu rassurant...
"Tu
finiras par m'appartenir, mon héraut au pelage de feu..." dit-elle
dans un souffle, sans me quitter du regard
Rédigé
par Maître Renard
26/03/2013
L'écorcheur de Lune ~ Premier chapitre
~ Le royaume de Carlsberg ~
L'essentiel
de la race humaine est concentré de larges espaces fertiles, au
centre de ce que l'on connait du monde, et se conforte depuis des
siècles dans un mode de vie seigneurial. Tout ces royaumes
humains sont avoisinants et, depuis qu'ils ont vu le jour, ne cessent de se disputer des terres, au grand désarroi de leurs serfs ; mais
Carlsberg n'est pas concerné. Bordé au nord par les montagnes, à
l'ouest par les terres Erashas, et au sud et à l'est par l'océan,
c'est devenu un royaume prospère, qui développa un important
commerce maritime. Les prouesses de la technique et le travail de la
terre les éloignèrent de l'usage de la magie, tant et si bien qu'ils
eurent au fil du temps une certaine inimité à l'égard des Esharas,
et de tous les sorciers en général...
~¤~
J'aimais
beaucoup la région entourant Val l'Ancienne, bien loin du froid du
nord qui m'avait vu grandir, et les champs de céréales dorés qui
rompaient avec le tapis herbeux, ainsi que la sombre obscurité des
quelques bois qui parsemaient ces terres. Le début de mon périple
se fit dans le calme, je suivais la longue voie menant à l'est, au
le royaume de Carlsberg, que je finis par atteindre au bout de deux
jours de voyage, passés paisiblement dans
le chariot d'un aimable marchand à la conversation des plus
agréable.
Lentement les vallons boisés et les cultures éparses
des rares paysans Esharas laissèrent place à des plaines bercées
par un doux vent, couvertes par d'immenses champs cultivés. Je pus
voir de tout depuis la charrette dans laquelle je me trouvais, depuis
les céréales jusqu'aux vergers, en passant par les immenses
cultures potagères. D'imposantes masures étaient visibles ça et
là, demeures de pierres aussi sombres que celle des montagnes du
nord, se détachaient dans la clarté du paysage, témoins de la
grande vie animant les paisibles champs de Carlsberg. En début de
soirée, je pus voir à l'horizon que les plaines remontaient en
pente pour former une imposante butte, dissimulant la cité que je
devais atteindre. Mon ami marchand me déposa alors que le soleil
déclinait à l'horizon près d'un petit bosquet servant justement
pour le repos des voyageurs. C'était à une croisée de chemin,
quatre voies partant chacune en direction d'un point cardinal, avec
au centre un cercle d'arbre, recouvert d'une herbe verte et parfaite
pour se reposer sous le délicat éclat du soleil printanier, ou
dormir sous les étoiles.
Je venais de l'ouest, et me dirigeais
vers l'est. Au nord je devinais au loin la ligne noire de l'Épine
Dorsale, chaîne de montagnes noires se détachant sur le bleu du
ciel telle une rangée de crocs menaçants, qui semblait oppressante même malgré la grande distance. Le commerçant m'ayant pris comme
passager quant à lui prit la voie du sud, espérant rejoindre le
port de Peu-Liés, au pied du mont du même nom. Je le saluai donc,
et mis pied à terre. Le temps était si beau en ce début de soirée
que je me serais bien arrêté pour savourer la caresse de la lumière
sur mon visage ; mais j'avais encore le temps d'atteindre le bourg
que je recherchais. Je contournai donc le bosquet quand, alors que
j'allais emprunter le chemin vers l'est, quelqu'un se fit
entendre.
"Voila un drôle de renard, pas vrai Froux ?"
Je me
retournai avec surprise, et tombai nez-à-nez avec un jeune homme
arborant un étrange sourire, une drôle de boule de poils rousse
juchée sur son épaule. Il semblait amusé à ma vue, ses yeux verts
plantés sur moi, et il plongea l'une de ses mains dans sa chevelure
noire courte et coiffée vers l'arrière, et qui voulait apparemment
revenir couvrir son front. Vêtu en vert foncé, il approcha.
"Je
peux vous aider ?" Demandais-je.
"Qu'est-ce que tu fais par ici le
poilu ? On aime pas trop les étrangers par ici, hein Froux ?"
La
créature, un genre de furet roux au visage un peu écrasé, tâché
du même blanc que ses oreilles, se redressa, et me dévisagea avant
de pousser un petit cri.
"Tu ferais mieux de rentrer chez
toi..."
Je continuais ma route sans jeter un regard
derrière-moi, exaspéré. Le drôle de personnage tenta de me
persuader de partir, mais je n'en fis rien, arrivant en haut de la
butte qui jusqu'ici me cachait le reste des plaines s'étalant
jusqu'à l'océan, que je pus enfin voir depuis mon perchoir, se
découpant au-delà des champs en patchwork de belles couleurs,
parsemé de points noirs qui devaient être les fermes ; et puis un
long serpent d'eau descendant des montagnes, virant au centre de ces
terres vers l'est et l'océan, et sur laquelle se dressait fièrement
une imposante forme qui se détachait des champs de blé et d'orge,
encore jeunes en cette saison : le bourg de Kronen, cité fortifiée
sur les rives du fleuve Affligemme.
Le
bleu du ciel devenait un peu plus foncé à l'horizon, laissant
présager que la soirée allait d'ici quelques heures laisser place à
la nuit noire ; autant me dépêcher. J'entendais derrière-moi
l'individu aux yeux de jade et son compagnon animal me crier quelque
chose, mais je n'y prêtai pas attention, les paysans devaient être
un peu hostiles à l'encontre des nouveaux-venus, d'autant que les
Erashas allaient assez peu dans cette contrée agricole, n'ayant
d'intérêt que pour ses ports permettant d'accéder aux étranges
Terres de l'Est, par-delà l'océan.
Quelques dizaines de mètres
plus loin je pus constater que ce qui m'avait semblé être une
habitation était en réalité un débit de boissons, qui me rappela
immédiatement mon village natal, ce dernier étant principalement
renommé pour sa taverne. Ce devait être les relents d'alcool et les
rires gras qui faisaient échos à ma mémoire, tout comme les hommes
qui en sortaient en titubant légèrement, sans doute des fermiers
ayant un peu bu avant de rentrer se reposer d'une dure journée de
labeur. Autant dire que je ne m'attardais pas plus que cela, j'avais
une mission et le reste importait peu. Pour moi du moins.
-Eh,
qu'est-ce tu fous là toi ?! Me héla l'un des clients, un fermier
bedonnant sentant fort la bière bon marché.
"Ouais, on veut pas
de saleté de magicien ici !" Cracha un homme un peu sec, affublé
d'une salopette et d'un chapeau ayant du être un vieux sac en tissu
amidonné dans une autre vie.
Je ne répondis aucunement à leurs
injures et continuai mon chemin, mais un troisième homme fonça
maladroitement vers moi alors que je passais devant lui, tentant de
m'asséner un coup de poing, que j'esquivai d'un élégant pas sur le
côté, avant de précipiter sa chute en prenant de mon pied appui
sur son postérieur. Ses deux compères en profitèrent pour se ruer
vers moi, et me retournant je lâchai un soupir, ne voulant pas me
retarder en distribuant des pains à quelques affamés quelque peu
agressifs envers ceux appartenant aux peuples dit "magiques".
Heureusement, un jeune homme tel que moi n'eut aucun mal à être
plus vif et rapide que trois brutes imbibées d'alcool, et bien vite
à force de gnons et d'horions justement placés ils furent mis au
tapis.
"Derrière-toi !" Me lança une voix familière, juste à
temps pour que j'évite de me faire assommer par un autre bougre à
la barbe broussailleuse et à la carrure qui aurait fait pâlir un
meuble en chêne massif.
Ce dernier, pataud et emporté par son
élan, manqua de s'étaler. J'eu juste le temps de voir arriver en
courant le jeune homme étrange rencontré plus tôt, qui m'empoigna
et m'enjoignit à courir à sa suite, ce que je fis sans discuter et
avec plus de zèle en entendant le colosse barbu appeler à
l'aide.
"Merci..." Soufflais-je entre deux respirations
saccadées. "Mais j'aurai cru... que tu les laisserais faire... plutôt
que m'aider à... fuir..."
Après avoir couru comme des dératés,
nous nous étions dissimulés dans une grange abandonnée, le temps
de reprendre notre souffle et de nous assurer que nos poursuivants ne
nous causeraient aucun souci.
"Comment cela ?" S'enquit mon nouveau
camarade.
"Et bien, au vu de ton discours dissuasif... j'ai cru
que tu étais ce genre de personne... pfiou... ils auraient pu me
couper les oreilles et la queue..."
"Oh, moi non, mais eux si.
Enfin moi je m'en fichais, mais Froux voulait que je t'empêche de te
faire zigouiller."
"La peluche là ?" M'enquis-je en pointant le
furet roux qui était fiché sur l'épaule du jeune homme. "Elle parle
?"
"Bien sûr ! Et Froux n'est pas une peluche..." Il prit l'animal
dans ses mains, et me le présenta à bout de bras avec un air
enjoué. "C'est un Dieu !!"
"Que... quoi ?..." Balbutiai-je,
surpris.
"J'ai rencontré Froux en voyage dans les Terres de
l'Est, dans une forêt de lances géantes avec des feuilles, où
vivaient des ours noir et blanc. Je crois que je suis tombé du haut
d'un précipice, et j'ai rencontré ce Dieu qui passait par-là !"
"Il
a du tomber sur la tête..." Marmonnais-je à moi-même.
"Je sais
que c'est dur à croire, mais Froux est un Dieu, mais qui voyage
incognito sous forme d'un animal."
"Et il possède des pouvoirs
fabuleux je présume..." Lui lançais-je, à demi-amusé.
"Bien
sûr, mais il ne peut pas les utiliser, il est incognito j'ai
dit."
"Oh, je vois..."
"Il me parle dedans la tête parce qu'il
peut pas s'exprimer de lui-même des mots pour pas trahir son
incognitisme. Un léger silence s'installa, durant lequel il remit
l'animal sur son épaule. Et sinon, que fais-tu par ici, monsieur le
poilu ?"
"Mon nom est Kazuo, et tu devrais le savoir si tu as un
Dieu avec toi."
"Oh mais Froux est un Dieu du ciel tombé sur
terre, il peut pas faire ce qu'il veut et savoir tout des choses du
monde."
"Et bien... Je cherche un homme, pour lui livrer une
lettre. Peut-être le connais-tu."
Je glissai ma main dans ma
besace, en ressortant la lettre portant le nom du destinateur, un
certain Eilert Bjark, et la tendit au jeune homme, qui s'en saisit
avant de secouer vivement la tête.
"Bien sûr que je le connais,
c'est un homme important au bourg. Je peux te conduire à lui. Oh, et
je m'appelle Kettil, enchanté de te connaitre Kazuo le poilu."
"Moi
de même, Kettil l'illuminé..."
"Comment ça ?" S'enquit-il, l'air
suspicieux.
"Tu es accompagné d'un Dieu non ? Sa lumière doit te
guider par conséquent."
"Oh je vois..."
Il rit, et me rendit la
lettre que je rangeai. Nous partîmes donc, reprenant la route vers
le bourg qui n'attendait plus que nous...
~¤~
Une
voix grave et agressive tira Jiorg du léger sommeil qui s'était
emparé de lui alors que les hommes le traînaient. C'était plus par
faiblesse que par fatigue, lui qui avait été fort et bien bâti
était devenu fragile et famélique. Depuis combien de temps était-il
enfermé ici ? Il n'aurait su le dire, et c'était sans aucun doute
le but de cet endroit et de ces hommes, de le réduire à cet état
où son esprit n'était plus qu'une coquille presque vide, plus qu'un
nom et des souvenirs faisant écho d'une vie lointaine et perdue dans
les tréfonds d'une obscurité empreinte de malveillance. Il
entrouvrit les paupières, mais dut bien vite les refermer, car la
pièce dans laquelle il avait été amené était emplie de lumière,
et ses yeux peu habitués étaient blessés par l'éclat de ces
flammes qui dansaient en dissipant les ténèbres. Deux hommes le
soutenaient par les épaules, le faisant se tenir debout.
Une
étrange chaleur envahit son visage, suivit de la douleur, sensation
qu'il avait presque oubliée. Une gifle. Des mots lui furent crachés
au visage, mais il ne saisit pas tout. Cependant, il sut qu'il devait
ouvrir les yeux, ce qu'il fit malgré la douleur. Des larmes
commençaient à perler à cause de la douleur, et il ne put
discerner que de vagues formes parmi la lumière, dont celle d'un
homme, celui qui l'avait frappé, qui s'écarta pour en laisser un
autre approcher.
"Agenouille-toi !" Exigea l'homme qui devait être
le geôlier, alors que son maître s'avançait devant Jiorg.
Ce
dernier fut relâché, et laissé debout, les jambes tremblantes.
Mais il se tint droit, et cracha comme il put au pied de l'inconnu.
En réponse, un bruit aigu se fit entendre, un bruit qu'il
connaissait, et il comprit en sentant une vive douleur : une lame que
l'on sort du fourreau, celle-là même qui venait de se ficher par
derrière dans le genou, le forçant avec un cri de douleur à poser
pied à terre.
L'homme s'approcha en riant doucement, et de deux
doigts il se saisit de la mâchoire du pauvre homme avec fermeté, et
se pencha au-dessus de lui en l'obligeant à poser son regard dans le
sien. Les yeux du maître des lieux étaient d'un bleu glacial, et sa
voix, qui résonna avec douceur, l'était tout autant.
"Cela fait
des lunes et des lunes que tu es enfermé ici. Plus personne ne
viendra te chercher, plus personne ne se soucie de toi, car... tu
n'es plus personne... Mais je peux te relâcher, te sauver de cet
enfer dans lequel je t'ai plongé, aussi sûrement que je pourrais
t'y laisser pourrir jusqu'à ce que tu ne sois plus qu'une carcasse
sans aucune volonté..."
Son visage se fendit d'un sourire pervers,
ses yeux trahissant une jubilation morbide, mais Jiorg resta
impassible.
"Je ne te demanderais pas grand-chose, juste de
parler... dis-moi simplement tout ce que tu sais sur un homme que
tu as, je le sais, très bien connu... parle-moi de ce cher vieux
Bjark..."
"M... maitre Eilert Bjark ?..." S'enquit le prisonnier
d'une voix sèche et tremblante.
L'homme aux yeux de glace se mit
à rire doucement, et relâcha le menton de Jiorg avant de s'asseoir
sur un trône derrière lui, posant un regard avide de connaissances
sur l'homme agenouillé tout en arborant un sourire carnassier...
~¤~
"Et
qu'est-ce qu'il y a dans cette lettre au juste ?"
"Aucune
idée..."
Nous nous étions arrêtés dans une auberge pour dîner,
et je le regrettais. Avec un certain dégoût je ne pouvais que
regarder mon compagnon de route se "baffrer" allègrement
d'un plat composé de choux, pomme de terre et charcuterie, vu qu'il
devait tout ignorer du concept de "savoir-vivre". Malgré
tout il montrait une impressionnante capacité à enfourner de la
nourriture à ne presque plus pouvoir fermer la bouche, et parvenir à
tout avaler en un temps record avant d'en remettre. Je déglutis
devant ce spectacle peu ragoutant et repoussai mon assiette...
"Quoi
?!" S'exclama-t-il en manquant de s'étouffer. "Mais le vieux Bjark est
le conseiller du seigneur Bergen ! Cette lettre pourrait
boulversifier plein de choses !!"
"Tu sais, je ne suis qu'un
coursier." Dis-je calmement avant de prendre une gorgée de vin. "Orwell, mon mécène, se contente de faire circuler des informations,
des secrets, de mettre en contact des personnes précises, et
généralement pour de bonnes raisons. D'ailleurs, qui est ce
seigneur Bergen ?"
"Il est le maître du royaume de Carlsberg,
l'héritier de la famille Grim qui la première a cultivée ces
terres. Ils habitent ce qui était une ancienne abbaye, qui a brûlé
lors de la révolte contre l'ancien clergé. Bergen dit "le
blond" est un seigneur juste, y a pas à se plaindre."
Je
jetai un regard depuis notre table vers la fenêtre, l'obscurité
ayant jeté son voile sur le bourg. C'était la capitale du royaume,
ceinte d'une imposante muraille, percée de plusieurs entrée assez
larges pour permettre à d'imposants chariots de passer dans les deux
sens, et lourdement protégés par des herses et la milice locale,
aux capes et boucliers représentant un phénix, emblème de la
famille Grim. De grandes rues pavées traversaient le bourg, se
croisant, et entremêlées de ruelles étroites et sombres se
faufilant entre les hauts bâtiments de pierres grises, seulement
troublé par le fleuve qui le traversait le centre du bourg, enjambé
régulièrement par d'élégantes arches de pierres, solides pont
permettant de relier les deux rives.
Au
centre, une grande place abritait un immense marché, encadré par
d'imposants bâtiments, entrepôts appartenant à de nombreuses
compagnies marchandes. Important royaume exportant nombres de
denrées, notamment des céréales, la capitale du royaume de
Carlsberg était évidemment un lieu de prédilection aux échanges
commerciaux, et elle était la seule vraie cité qui ne soit pas un
port, et servait de centre administratif. Il y avait en conséquence
de nombreux lieux de repos tels que l'auberge que nous avions choisi,
dont la pancarte annonçait "au poney pimpant".
"On
devrait allez se coucher non ?" Demandais-je à mon jeune ami une fois
qu'il eut fini son repas.
"Bonne idée Kazuo le poilu, je tombe de
sommeil."
"Après tout ce que tu as avalé, tu as besoin de
digérer..." Glissai-je en riant à moitié
~¤~
C'est
avec le soleil que je m'étais levé, tirant aussi du lit Kettil qui
protesta, prétendant qu'un serviteur du Dieu Froux n'avait pas à
s'éveiller avec l'astre du jour. Mais j'étais un coursier et l'un
des meilleurs, et je me devais de livrer au plus tôt ma missive.
L'entrain se lisait sur mon visage alors que je suivais mon guide,
qui lui avait l'air plus maussade, comme s'il avait passé une très
mauvaise nuit. Nous arrivâmes finalement devant le lieu de résidence
de sire Bjark, qui ne ressemblait pas du tout à ce à quoi je
m'étais attendu pour le lieu de vie d'un conseiller royal.
"Un
maréchal-ferrant ?" Laissai-je échapper, surpris.
"Et un
forgeron, le meilleur qui soit. Il a su rester humble malgré son
rôle auprès de notre seigneur. Aujourd'hui, il apprend surtout à
la jeune génération comment qu'on bat le métal comme il
faut."
L'endroit était proche de la grande place, dans l'une des
grandes artères, et surtout donnait directement sur la rue, à cause
de la chaleur, et permettait de voir le colosse qui martelait avec
force le métal sur une énorme enclume, ainsi que l'impressionnante
forge rougeoyante et tout le panel d'armes et d'outils accrochés aux
murs. Kettil se précipita pour annoncer notre arrivée, et échangea
quelques mots avec le forgeron, un homme chauve et bien bâti, qui me
semblait peu amical. Fort heureusement, il ne s'agissait pas d'Eilert
mais sans doute de son apprenti, qui d'un grognement accompagné d'un
geste de la tête nous indiqua la porte du fond.
Derrière un
bureau en bois des plus sommaire était assis un vieil homme, qui
inspectait des tas de papiers où étaient écrit nombre de choses
avec une écriture que je ne pouvais déchiffrer, et des plans
d'engins des plus étranges, schémas des plus obscurs. Eilert Bjark
avait de longs cheveux blancs encadrant un visage à la peau marquée
par le temps, mal rasé et l'air bourru, une imposante cicatrice lui
barrant le visage, expliquant pourquoi son œil gauche semblait
voilé, comme aveugle. Celui qui lui restait me fixait alors qu'il me
regardait en se redressant.
"Vous ne partez pas gagnant, étranger," commença le vieil homme. "Se présenter accompagné de ce nigaud et
de sa peluche nuit à votre crédibilité."
"Il n'a fait que me
guider sire, car comme vous le supposer à juste titre je viens de
loin. C'est mon employeur, Orwell, qui m'envoie vous délivrer une
lettre des plus importante."
A ces mots le forgeron fut d'abord
surpris, avant d'afficher une certaine colère.
"Je ne veux rien
avoir à faire avec ce serpent, et encore moins avaler ces
couleuvres. Partez, et que je ne vous revois plus dans ma respectable
boutique !"
Assis sur le trottoir en face de la forge, sous le
regard mauvais de l'apprenti de Bjark, je me demandais ce que je
pouvais faire maintenant que je m'étais fait jeter. C'était
bizarre, et ça n'était jamais arrivé auparavant, je n'aurais su
dire comment réagir.
"Et bien, t'es pas dans le pétrin toi," souligna Kettil. "Comment tu veux délivrer un message sans même le
connaître ? Surtout qu'il veut pas le lire."
Une idée me vint.
C'était un peu contraire à mes principes et à ce qu'aurait voulu
Orwell, mais je n'avais pas le choix, je devais ouvrir la lettre et
la lire, afin d'informer de vive voix Eilert, d'une façon ou d'une
autre. Il était de mon devoir d'informer ma cible, et même si ma
conscience professionnel m'aurait interdit d'ouvrir ce courrier... ce
fut comme si une force irrésistible, teintée de curiosité, m'y
contraint. Et quel ne fut pas ma surprise, après avoir ouvert la
lettre sous les yeux excités de Kettil, de lire ceci :
"Cher
Kazuo,
J'étais certain que sire Bjark ne voudrait pas ouvrir
cette lettre, et tu as bien fait de le faire à sa place. L'heure est
grave, ce royaume est en proie à d'important changement et il ne
tient qu'à peu de choses d'empêcher une tragédie d'une ampleur qui
nous dépasse de survenir en ce bas-monde. Sire Bjark est malgré lui
impliqué, et il faut se dépêcher. Même s'il ne veut pas te voir,
il faut absolument que tu dises à ce vieil entêté que les larmes
de Kishin sont en péril et que le Culte est de retour. Il
comprendra.
Orwell"
"Et
bien, cet Orwell m'a l'air des plus clairvoyant. Froux l'apprécie
déjà !"
"Peut-être mais ces paroles m'inquiètent, il est pas du
genre à en rajouter. Ça sent mauvais."
"Ah bon ? Pourtant, l'air
est frais aujourd'hui."
Un regard inquiété jeté à mon camarade,
et j'étais à nouveau debout, déterminé, et je m'avançai vers mon
objectif en contournant les charrettes qui passaient dans la rue,
mais ma conviction fut ébranlée quand je vis l'apprenti forgeron,
l'air mauvais, me signifier du regard que je ne passerais pas.
"Fier
héraut à fourrure, sois témoin du pouvoir des cieux !!"
Ce cri
nous interloqua tout deux, mon adversaire et moi, quand je vis Kettil
bondir devant moi, bras et poing tendus en direction de la montagne
de muscle au marteau. Froux se précipita et à son tour prit son
élan et sauta sur l'homme menaçant, glissant sous sa tunique et le
faisant se tordre en riant, l'animal le chatouillant de ses petites
griffes et de sa fourrure. J'étais scié, mais l'illuminé
responsable de ce coup de chapeau me donna un coup de coude et
m'enjoignit à aller voir le propriétaire des lieux, qui ne fut pas
satisfait de me voir débarquer.
"Qu'est-ce que tu fiches ici toi
?! Rhodes !!" Il soupira en voyant le colosse se tordre de rire. "Par
amour pour tout ce qui est sacré que me voulez-vous, maudit Eshara
?!"
"J'ai lu le message d'Orwell, et c'est important je vous assure
! Selon lui les larmes de Kishin sont en péril et..."
Le vieil
homme m'interrompit, l'air effrayé, et il se précipita brusquement
su moi afin de me saisissant par le col.
"Que sais-tu sur les
larmes ?..." Siffla-t-il, partagé entre rage et panique.
"R-rien
je vous jure, je ne fais que répéter ce que dis le message ! Et
je... je dois aussi vous dire que..."
A nouveau je me fis
interrompre, mais cette fois-ci ce fut par des bruits d'explosions,
retentissant un peu partout dans la ville simultanément, suivi par
des cris et des hennissements. Sur la grande place non loin, l'on
pouvait entendre la foule commencer à paniquer, et bientôt la
terreur envahit les esprits, tandis que de nouvelles explosions
retentirent. Parmi les hurlements, on pouvait entendre "Ils sont
là", "Les Dieux nous ont abandonnés" et nombres
d'autres suppliques. Eilert me lâcha, et je pus voir sur son visage
livide apparaître une horreur indescriptible.
"Le... le Culte de
la Lune... ça veut dire que..." Le vieil homme recula et manqua de
tomber en heurtant la table. "Ça ne devait jamais arriver !!"
Soudain,
un homme fendit la foule, un chevalier drapé de noir, portant une
armure de plaque frappée d'un croissant de lune sur le torse,
brandissant une épée longue et arborant un casque masquant son
visage. Kettil rappela Froux et s'écarta, alors que Rhodes,
l'apprenti forgeron, brandissant son marteau, tenta d'arrêter
l'étranger. Ce dernier avait beau avoir l'air moins impressionnant
malgré son armure, et faire une tête de moins que l'imposant
colosse, avec une rapidité déconcertante compte tenu du métal
recouvrant l'homme il esquiva l'arme improvisée, et d'un coup
trancha la tête de l'homme, sans autre forme de procès, avant de
continuer à avancer vers Bjark, devenu blême. Le guerrier me
regarda, et dans la feinte de son casque il n'y avait que ténèbres.
De sa main ganté, il me repoussa sans ménagement, et une voix
glaciale et inhumaine résonna du fin fond de l'armure.
"Cela
faisait longtemps, Bjark, que nous n'avons pas été face à
face."
"Tu dis cela, mais tu te caches derrière cette chose !" Le
vieux cracha sur l'armure. "Viens donc en personne !"
"Ne rends pas
les choses plus difficile. Tu sais pourquoi nous sommes ici."
"Bergen
s'y opposera !! La milice vous stoppera !!"
Un rire guttural résonna avec force dans le
métal.
"C'est ton petit protégé qui nous a fait entrer dans la
cité. Maintenant, donne-la moi, je sais que tu l'as encore."
Eilert
sembla plus vieux que jamais, livide et tremblant. Je ne comprenais
pas tout ce qui venait de se dérouler sous mes yeux, mais il me
semblait que le seigneur Bergen, dépeint si juste par Kettil, avait
fricoté avec ceux qui prenait le contrôle du bourg. J'aurai sans
doute du fuir, et ne pas me mêler de cette histoire, mais quelque
chose me retenait. Le vieux Bjark contourna la table et ouvrit un
grand coffre situé au fond de la pièce. Il en sortit quelque chose
qui semblait être une épée, enroulé dans un tissu pourpre. Il se
présenta devant le chevalier, mais au moment ou il allait lui
donner, il poussa brusquement l'armure, me mit l'épée entre les
mains, et me fit sortir de la pièce d'un coup d'épaule avant
d'essayer de retenir le guerrier de métal.
"Fuyez loin d'ici !!
Fuyez et ne revenez jamais !!"
Alors que je m'éloignais et me
mêlais à la foule, j'entendis un cri glacial et inhumain s'élever
de l'armure. Je sursautais en me sentant agrippé, mais c'était
Kettil qui ne voulait sans doute pas me perdre alors que nous nous
mêlions à la foule. Une sensation m'électrisa et me coupa le
souffle un moment, et je mis cela sur le compte de l'émotion. Mais,
si je m'étais retourné, j'aurai vu, au même moment, qu'Eilert,
encore en prise avec l'armure animée, fut pris de convulsions, avant
que son corps ne se mette brusquement à vieillir en quelques
instants, ne laissait après quelques instants que ses vêtements et
de la poussière...
Nous
fûmes retenus par les gardes qui tentaient d'empêcher la populace de
fuir la cité et d'échapper à ce "Culte de la Lune" qui cherchait
sans doute à s'imposer. Toutefois la chance nous sourit car les
miliciens laissèrent quelques personnes passer, sans que l'on ne
sache pourquoi, et d'autres se ruèrent à leur suite, nous deux
compris, avant qu'ils ne puissent reprendre le contrôle de la foule.
Les gens se dispersèrent et Kettil et moi nous mîmes à courir,
jusqu'à être à bout de souffle. J'avais toujours l'épée
enveloppée dans le tissu à la main, mais aussi la tête ailleurs,
trop pour y penser. Après une bonne dizaine de minutes de marche, nous arrivâmes
devant le bosquet où la veille j'avais rencontré pour la première
fois l'illuminé, et sans même nous concerter nous décidâmes de
nous arrêter.
Nous
n'étions pas les seuls, car une femme était déjà assise dans
l'herbe, et elle se releva promptement en nous voyant.
"Kettil
?"
"Asdis ! Quel bonheur de te..."
Froux eut le bon réflexe de
sauter au sol avant que la jeune femme ne colle son poing dans la
figure de mon comparse, l'étalant sur le sol avec une facilité
déconcertante.
-Moi qui croyais que la journée ne pouvait pas
être pire... Souffla-t-elle, éreintée.
Rédigé par Maitre Renard
15/03/2013
L'écorcheur de Lune ~ Prologue
~
Val l'Ancienne ~
La
Guerre du Chaos -aussi appelé Grande Guerre, Terreur Divine, ou
Impensable Foutoir- est un événement ayant eu lieu environ un
siècle avant l'établissement du calendrier affraral, quelque part
pendant période Sahnkrym du calendrier hrugrak, et servant de point
de départ à l'ère du Renouveau du cycle Impérial. Il ne reste que
très peu de textes antérieurs à cette période, et les rares
écrits font états de plusieurs races qui n'existent plus, et dont
il ne reste que des vestiges épars : les plateaux Sauloré, les
cités d'Ay, les antiques cryptes Azuréennes, le grand temple
E'radip... L'on a que très peu d'informations sur cette guerre, mais
elle ravagea tout le monde connu, et certains textes Affraraly
prétendent que les Dieux eux-mêmes prirent physiquement part au
conflit, et que certains moururent lors du conflit ; la Tombe
d'Argaräk devrait son nom à une divinité déchu, tout comme son
climat.
Les
connaissances antérieures furent donc perdu, hormis un librarium
Affraral à moitié incendié, une grande partie de la collection
impériale, ainsi qu'un grand nombre de rouleau E'radip ; ces
derniers sont néanmoins totalement illisible, leur écriture
atypique n'a jamais été appris par une autre race, et ayant été
tous exterminé, personne n'est en mesure de comprendre leur langue.
Les Hrugrak, fortement impliqué dans le conflit, aurait pu donner
des récits très détaillés des événements, mais les incessantes
guerres intestines n'aidèrent pas la transmission du savoir, qui
chez eux est exclusivement orale.
Toutes
les races furent impliqués dans la guerre, dont on ignore
précisément les causes, et les répercussions furent bien entendu
importantes : les E'aradips, Ay, Saulorites, furent exterminés, les
humains virent leur terre natale devenir inhabitable, et les
Affraraly ainsi que les Hrugrak virent leur population décimée. On
ignore si des peuples plus marginaux, tel que les Micéléens, les
Mariauls et les R'razrag'ak, prirent part au conflit ou non, et les
éventuels conséquences que cela aurait eu.
L'apparition
des Erashas marqua la fin de la guerre, cette nouvelle race émergeant
avec à sa tête Yggdrasil et les Neufs, qui conjurèrent les Dieux
et mirent fin à tout les conflits ; cette dernière partie étant
relaté plus en détail dans les légendes d'Yggdrasil l'Arbre-Monde.
Après
la guerre s'ensuivit une période obscure, où se succédèrent
famines, épidémies, et errances, le temps que se reconstruise la
société. Les Affraraly retrouvèrent leur forêt natale dévastée
par des incendies, les humains durent s'exiler de ce qui devint la
tombe d'Argaräk, et les Hrugrak mirent des décennies à construire
des navires satisfaisant pour les ramener sur leur archipel lointain.
Les Erashas quant à eux, s'éparpillèrent à travers le monde, pour
veiller à ce qu'aucun autre conflit n'éclate ; Yggdrasil s'installa
dans un territoire inoccupé, au pied des montagnes du nord, et
continua à surveiller le monde, tandis que l'une des Neufs, Val,
administrait la ville naissante.
Extrait
de "La grande Histoire du Monde"
Année
404, auteur inconnu
Traduit
de l'affraral par Gog'eul
~
¤ ~
La
grande cité du Nord, Val l'Ancienne, fier fief du peuple Erasha, se
dressait devant mes yeux. Perdu dans la verdoyante nature, au pied
des immenses pics de l’Épine Dorsale, elle affichait ses rues
pavés de pierres blanches de part et d'autre du fleuve Drashym les
maisons étaient de pierres beiges et de tuiles rouge, un peu partout
une végétation abondante faisait vivre la ville de mille couleurs
durant les saisons chaudes. Et tout autour de ce charmant endroit,
sur des jours e des jours de marches alentours, il n'y avait que des
prairies, des bois, des étangs, et quelques fermes de pierres grises
qui cultivaient au gré des saisons les fruits de la terre pour
subsister. Tout transpirait la tranquillité, et la paix... autant
dire que je n'y resterais pas longtemps.
Mes
pas résonnaient dans le crépuscule, produits par des bottes de
marches en cuir, peu discrètes mais très confortables, et si mes
vêtements étaient assez passe-partout, simple ensemble pantalon et
chemise -néanmoins tissé avec de la laine provenant de béliers
paissant sur les hauteurs E'radip- avec passé par-dessus une veste
longue, en cuir Mariaul d'après le vendeur, ainsi qu'un sac en
bandoulière fait de toile imperméabilisé ; si tout cela donc
m'assurait une certaine discrétion, une allure de voyageur comme il
y en a tant d'autres, ma chevelure d'un roux flamboyant et mes yeux
dorés sont nettement moins oubliable...
De
plus, j'appartiens à la race des Erashas, et si nous autres avons
une apparence plus ou moins semblable aux humains, des
caractéristiques animales viennent nous en différencier, et dans
mon cas, mes oreilles sont celles d'un renard, et le bas de mon dos
se prolonge en une élégante queue recouverte de fourrure tout
aussi voyante.
J'observais,
en silence, les commerçants débarrasser les étals qu'ils avaient
installés sur la rue principale, et progressait tranquillement.
Quelques personnes me saluèrent, et je leur rendis avec grand
plaisir ; j'étais chez moi ici, dans la plus grande cité de mon
peuple, et je m'y sentais à l'aise. Néanmoins, chaque fois que je
regardais l'une de ces personnes, mes semblables, je voyais leur vie,
le quotidien, ces journées répétés, ponctués de petits riens.
J'admirais cette force, ce bonheur que pouvait apporter une vie bien
remplie.
Une
femme accueillie sur le perron son mari en l'étreignant, et cela fit naître en moins une pointe de regret ; hélas, je n'étais pas fait
pour une telle vie, mon cœur rêvait de voyage, d'aventures, de voir
du monde... depuis une quinzaine d'années environ, je vagabonde, et
retourne fréquemment en ces lieux, retrouvé une personne bien
précise, et à cette fin, je bifurquais soudainement dans une rue
parallèle, me déplaçant avec aisance dans les ténèbres.
"Orwell
? Orwell ! C'est Kazuo ! Répond !"
J'étais
dans une ruelle sombre, derrière l'entrepôt désaffecté où mon
contact vivait. C'était un être nocturne, à l'allure reptilienne,
que l'on nommait Erasha Serpent ; leur sang était glacé, et peu
appréciait leur compagnie. Pourtant, Orwell avait un certain charme
animal, son visage serpentin recouvert d'écailles noirâtre comme le
reste de son corps, lui donnait une étrange beauté prédatrice,
tout comme sa voix râpeuse qui me faisait hérisser les poils de la
nuque, mais que je ne pouvais m'empêcher d'écouter.
"Tu
repars bien vite, Kazuo..."
Je
sursautais. Caché derrière une poubelle, l'on m'observait dans
l'ombre... Son petit plaisir, me surprendre malgré toute mes
précautions, et il était maître en matière de dissimulation, à
défaut d'être doué pour les travaux physiques, il faisait marcher
astucieusement son cerveau ; en témoigne le réseau d'informations
très influent qu'il avait su mettre sur pied, sans bouger de sa
cité. Et j'étais l'un de ses coursiers, le meilleur d'après ses
dires. Ce petit travail m'assurait de bons revenus, et l'occasion de
voyager avec un but, une destination, ainsi que des contacts un peu
partout.
Mais
pour l'heure, Orwell se dressait devant moi, emmitouflé qu'il était
dans une robe noire à capuche, ne pouvait dissimulé l'éclat
rougeoyant de ses iris, ni le sifflement de sa langue alors qu'il
humait l'air ambiant. Un léger silence s'installa, car il me mettait
toujours un peu mal à l'aise, avant que je ne me décrispe.
"Oui,
oncle Iky est pénible quand il s'y met, et je préfère largement
voir du pays. Où allez-vous m'emmener cette fois-ci ?"
"J'ai
un ami, dans le royaume de Carlsberg, qui attend quelques nouvelles
de ma part. Tu pars sans plus tarder."
"Et
où habite-t-il ?"
"Tu
le trouveras dans le bourg de Kronen, la capitale. Il te suffit de
suivre la route de l'est. Maintenant file mon ami !"
Je
ne me le fis pas dire deux fois. Il me tendit une lettre que je
fourrai dans mon sac, et m'en retournai chez mon oncle, prendre une
bonne nuit de sommeil avant de répondre à l'appel de la route.
~¤~
L'air
était lourd, saturé de poussière, et Jiorg avait une respiration
lente et difficile. Depuis combien de temps était-il enfermé ici,
dans cette geôle humide ? Il avait depuis longtemps perdu cette
notion, attaché au mur par une lourde chaîne. Avant il avait été
un jeune homme plein d'ambition, qui venait de s'établir comme
forgeron. Maintenant, il ne restait plus rien de lui, juste un corps
famélique et un esprit pourrissant dans l'obscurité. Jiorg luttait
pour garder ses souvenirs, et un peu espoir, mais ce n'était qu'une
mince lueur qui tremblotait dans l'obscurité. Il n'avait plus que
son nom, que le geôlier prononçait pour le réveiller et servir les
restes qui lui serviraient de repas.
Cependant...
quelque chose changea soudainement dans la lancinante monotonie
dévorante de ces lieux. Les torches du couloir n'éclairaient que
très peu et laissaient l'obscurité régner en maître, mais une
source de lumière bien plus forte vint chasser la noirceur, et il
put entendre les cris de ses semblables, dont les yeux étaient
blessés par l'éclat étranger. Lui-même fut aveuglé, et ne vit
pas le visage des hommes qui le libérèrent de ses fers, avant de le
soulever et le traîner hors de sa sordide cellule. Jiorg se laissa
faire, il n'avait pas la force de lutter. Ses tortionnaires
parlèrent, et eurent quelques rires, mais cela échappait à sa
compréhension. Plus aucune volonté ne l'animait, il n'était qu'une
coquille vide, une carcasse dépourvue de substance...
Rédigé par Maitre Renard
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