24/05/2013

Illustration - Kazuo

A la suite d'une petite visite dans un festival, j'ai pu trouver un sympathique illustrateur qui a bien voulu croquer pour moi notre cher héros poilu préféré. Voici donc Kazuo, vu par Thibault Colon de Franciosi !



(C'est une photo, je ferais un scan... quand je trovuerais un scanner...)

24/04/2013

L'écorcheur de Lune ~ Troisième chapitre

~ ... en Scylla ~



Le grand océan qui sépare les grands royaumes humains, Erashas et Affraraly des terres de l'Est comprenant l'Empire et la coalition Hrugrak, est une immense étendue d'eau aussi limpide que capricieuse. La Reine des Mers, parfois surnommée l'Impétueuse, est la Déesse titulaire de ces flots en furie, parcourus de tempêtes et de siphons, ainsi que de créatures marines dont la simple conscience de l'existence provoquerait des cauchemars. Un écrivain fit plusieurs récits dépeignant ces monstrueuses créatures se cachant sous la surface des mers, leur prêtant une intelligence supérieur, des intentions peu louables, et vivant dans une gigantesque cité cauchemardesque au plus profond des flots ; mais cet homme devait être particulièrement dérangé.

~¤~



Le soleil nous gratifia de ses éclats enchanteurs sans qu'aucun nuage ne vienne troubler leur quiétude, et la matinée s'achevait alors que nous gagnons le port de Peu-Liés. J'espérais oublier ces rêves étranges, et me convaincre par la même occasion que ce n'était que ça : des rêves. Surtout cette jeune femme dont j'ignorais le nom, car j'avais l'intime pressentiment qu'elle m'attendait quelque part, et que je ne m'échapperais pas si aisément de ses griffes. J'eus été réveillé par Kettil, qui cherchait Froux, et l'avait retrouvé blottit contre moi, sans doute à la recherche de ma chaleur corporel bien plus élevée en raison de l'affinité commune à certains Erashas renard avec l'énergie tellurique, et le feu.
Le jeune homme semblait m'en vouloir que son compagnon me préfère à lui, et lâcha pour simple explication que sa majesté céleste n'avait daigné m'accorder sa grâce que par pitié mais que lui seul était son serviteur fidèle et dévoué. Cela fit se détendre un peu plus Asdis à mon sujet, qui semblait apprécier le fait que son ancien fiancé se taise un peu plus à cause de moi. J'en appris un peu plus en chemin, elle me parla longuement de sa relation avec Kettil. Lui était un fils de marchand, et elle une jeune femme de la noblesse, et contrairement à ce que l'on pouvait penser ce n'était pas politique. Bien que tête-en-l'air, c'était une bonne âme, un garçon gentil et prévenant, mais il est parti en voyage pour voir au moins une fois le monde qui l'entourait, et son incohérence ainsi que sa vénération pour Froux lui était venu à son retour, délaissant sa promise pour l'adoration de l'animal.
Asdis aimait bien le petit furet de feu, mais c'était le comportement du jeune homme le problème. Et bien que j'écoutais ces problèmes, alors que nous reprenions la route avec Kettil dans le chariot et nous deux à l'avant, je pensais quand à moi à cette femme aux cheveux et yeux d'argent. Ceci dit mon amie m'en éloigna alors qu'elle posa sa main sur la mienne, la serrant légèrement en disant, triste, que son fiancé lui manquait. Cela m'affecta, et je compatissais sincèrement, imaginant à mon tour ce qu'Azaléa dut ressentir éloignée de moi, bien qu'Asdis ait quand à elle son amour à portée, mais sans pouvoir l'aimer...

Le port était composé d'une agglomération anarchique de petits bâtiments et de tavernes, s'étalant devant le grand port entouré d'entrepôts. L'activité principal était la pêche, mais aussi le stockage pour quelques rares compagnies marchandes, une majorité préférant atteindre le port un peu plus lointain de Canturott, à l'est de Kronen, et s'ouvrant sur l'archipel qui était notre destination ; cependant, sa facilité d'accès impliquait une taxe plus importante... Asdis expliqua son choix, qui était de partir le plus vite en mer afin d'empêcher le Culte de nous retrouver, ce que j'approuvais. Même si j'étais armé, ayant passé à la ceinture le cadeau d'Eilert Bjark, je n'en restais pas moins un piètre bretteur, bien plus familier de certains arts que j'avais hérité de ma famille.
Asdis cherchait sur les quais un navire, dont elle savait que le capitaine nous prendrait et mènerait n'importe où pour un peu d'or, ayant une réputation de mercenaire n'hésitant pas à monnayer ses services dans les luttes entre les différents royaumes insulaires tant pour le transport de troupe que celui de vivres ou de matériel. C'était le grand John l'Argenté, un filou de la pire espèce mais surtout un capitaine hors pair, qui avait vu des luttes et bravé les flots plus d'une fois. C'était un vieux marin à la peau tannée par le soleil et le temps, ridée et marbrée, de même que ses mains fortes et son corps bien charpenter sans être imposant. Ses cheveux d'un gris sale était en partie dissimulé par son chapeau, et son corps emmitouflé dans un vieil imperméable bleu nuit qui avait du voir passer vagues et tempêtes. Il attendait quelque chose devant un navire nommé "La Splendide", et qui était aussi resplendissante que je n'étais funambule professionnel. Je ne m'y connaissais que très peu en bateau, mais celui-là me paraissait usé, le bois abîmé par endroit, l'on pouvait voir les réparations à la coque et les voiles d'un blanc crasseux avait sans l'ombre d'un doute des marques de rafistolage. C'était sans nul doute le vaisseau le plus pitoyable qui n'est jamais flotté. Je ne pouvais que me demander comment une fille à l'allure aussi noble et respectable pouvait connaître une canaille à l'air aussi miséreux.
L'Argenté fumait la pipe en regardant l'horizon, et ce fut Asdis qui l'interpella en l'appelant par son nom, et il sembla contrarié de la voir, roulant ses yeux gris dans ses orbites profondes.
"Tu peux toujours me supplier, après ce que m'a fait ton père," il cracha, "je ne te ferai pas monter à bord."
"Mais... mais j'ai de quoi payer !" S'insurgea la jeune femme.
John lui souffla sa fumée âcre au visage.
"Et l'honneur, gamine, avec quoi tu payes quand on te vole ton honneur ?"
"Tout ça pour une histoire vieille de plusieurs années..."
"Et vois ou j'en suis ! Ton père, damné soit sa carcasse, a réquisitionné mon bâtiment et vois ce qu'il est devenu ! Un navire des plus respectable, que j'ai du réparer tant bien que mal avec la misère qu'il m'a payé. Et puis une fille a bord serait provoquer la jalousie de la Reine des Mers."
"Je peux pourtant me rendre utile ! Je... je sais cuisiner !" Essaya de négocier la jeune femme
"Même si c'est meilleur que ce que fait le cuistot, c'est non."
"Goûtez au moins, vous me direz des nouvelles. Mon ami à encore un peu de mon pain-surprise."
J'affichai un air surpris en la voyant me désigner, et en se retournant je vis son clin d'œil, et fit mine de soupirer.
"Moi qui voulait en garder..."
Elle fit mine de prendre quelque chose dans mon sac, et plaça ses mains dans son dos.
"Vous m'en direz des nouvelles..." Dit-elle en approchant du marin.
Il ne se douta pas une seule seconde que la blondinette allait lui collre son poing dans la figure, et le coup sonna tellement le grand John qu'il finit par s'écraser mollement sur les fesses, des étoiles devant les yeux. Asdis le regarda avec un brin de colère, et prit dans sa poche une bourse qu'elle lui jeta avant de se diriger vers le navire.
"Vous m'en direz des nouvelles, de mon pain-surprise. En attendant, on embarque pour l'archipel des Pleurs sans fin, et pas d'entourloupes."


~¤~



Entre les murs de la vieille abbaye de Kronen, il y avait une grande pièce faisant office de salle du trône, qui autrefois était la grande salle de l'Eglise du Culte de la Lune. A la place de l'autel, se dressait un grand trône, et les bancs où s'asseyaient les fidèles n'étaient plus, laissant un grand espace, donnant une impression de petitesse face au Roi. Derrière le trône, un vitrail représentant un phénix, emblème de la famille Grim, avait remplacé celui à l'image de leur Déesse, la Dame Lune. Le reste de leur abbaye avait été aussi modifié, mais pour les fidèles, seul ce lieu était réellement important.
Le Roi était parti apaiser la foule et rassurer la populace, ces paysans ignares et marchands aussi cupides que ventripotents, de la bienveillance du Culte à leur égard, et du rétablissement de l'ancienne religion. Leurs hommes d'armes avaient lentement rouverts les portes de la ville, mais restaient vigilants et contrôlaient tout le monde. La salle du trône était alors vide, et des hommes entrèrent dans la salle, par la petite porte dérobée servant au Roi mais qui désormais reprenant son rôle d'origine, à l'usage des prêtres, ces derniers venant se placer autour du trône ; aucun d'eux n'aurait oser s'y asseoir.
Deux d'entre eux étaient jumeaux, leur peau blafarde et leur tignasse noir leur donnait un air malade, tandis que leur corps maigre mais étonnamment grands, ainsi que leurs traits allongés leur donnait une apparence famélique, et un air de morts-vivants. Tout deux portaient une longue robe mauve, brodée d'un croissant de lune argenté au torse, de même que l'un de leur camarade, qui lui était un homme âgé, aux longs cheveux blancs ramenés en un élégant catogan. Sa barbe était soigneusement taillée, ses petites lunettes et sa peau parcheminée couverte de ride lui donnait un air sage, mais son corps vouté et emmitouflé dans une robe trop ample pour lui cachait la carrure qui indiquait qu'autrefois il était un vaillant guerrier.
"Tu ne pourrais pas pour une fois venir en personne, plutôt que nous ramener cette maudite boite de conserve ?" Demanda le vieil homme.
Il s'adressait à un homme dissimulé sous un épais harnois articulé, drapé de noir, dont le casque ne laissait par sa feinte voir que des ténèbres, et il semblait qu'il n'y avait rien d'autre à l'intérieur qu'un vide glacial d'où s'élevait une voix tout aussi froide.
"Tu peux rêver, charogne."
"Viens donc me le dire face-à-face !!" Hurla le vieil homme. "De vétéran de guerre à saloperie de vermine !!"
"Silence." Dis posément le cinquième homme.
Il ne s'agissait pas vraiment d'un homme mais d'un enfant, vêtu d'un ensemble noir sur lequel était brodé de nombreuses étoiles, représentant des constellations que pouvaient reconnaître les érudits en la matière. L'enfant devait avoir à peine plus de dix ans, mais ses traits enfantins trahissaient une sorte de savoir sans âge, comme s'il avait vu et vécu un nombre incalculable de choses trop lourdes à porter pour son frêle corps, mais qu'il arrivait malgré tout à supporter. Ses cheveux blonds étaient propres et bien coiffés, et ses yeux vert clair brillaient d'un éclat malsain. D'un simple mot il avait fait taire les deux hommes qui se disputaient, et qui désormais le regardait avec crainte alors que lui-même n'avait pas daigné poser le regard sur eux.
Le vieil homme osa cependant s'adresser à lui, après un moment de silence.
"Pourquoi un membre du cercle intérieur a-t-il pris la peine de nous convoquer, et de venir en personne ?"
"Idiot." Répondit-il calmement. "Cette affaire inquiète la Haute Instance."
"Mais c'est notre rôle de faire loi auprès de nos fidèles," intervint l'armure, "le cercle extérieur a été créé pour faire le lien entre votre cercle et les autres partisans œuvrant pour la Cause."
"Cette affaire est assez importante pour qu'elle requiert ma présence, vous plus que quiconque devriez le savoir, Elysia. Une de ces vermines d'Erasha a perturbé le cours de la prophétie. Il a pris l'une des Sept de la main de Celui-qui-a-forgé. Ça n'aurait jamais du arriver." Il marqua une pause. "Faite entrer le traître, qu'il réponde de ses actes devant le cercle extérieur... et devant moi."


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Ayant déjà fait nombres de voyages en mer, je n'avais plus ce mal de transport. Kettil était, aux dires d'Asdis, un fils de marin, et elle-même fréquentait ports et bateaux depuis son plus jeune âge. Cela aurait été en effet des plus cocasse que l'un de nous eux le mal de mer, mais ce n'était pas le cas, fort heureusement. Le voyage commença d'ailleurs sur une mer calme, peu agitée, alors que nous remontions vers l'Est puis le Nord. Durant toute la semaine,il n'y eut aucun problème. Le Capitaine nous supportait, beuglait ses ordres et buvait du rhum, tandis que notre petit trio discutait de choses et d'autres.
J'aurai cru qu'il nous arriverait malheur, mais rien ne se produisit tout au long de notre périple. Nous aperçûmes plusieurs îles au loin, mais d'après le Capitaine aucune d'elles n'étaient notre destination ; il semblait connaitre la mer bien mieux que nous. Finalement, nous arrivâmes en vue de nombreux îlots au loin, et le Long John l'Argenté s'écria
-Nous arriverons à bon port demain midi ! J'ai hâte de vous lâcher, les morbacs, ça me démangeait de vous en collait une !


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Alors que Kazuo et ses compagnons étaient à bord d'un navire, mais bien avant leur départ, l'abbaye de Kronen était le théâtre d'une bien étrange assemblée. Les cinq sages du temple étaient rassemblés, ayant cessé leur querelles sur ordre du plus jeune -qui était leur supérieur- pour laisser entrer celui qu'ils devaient juger. Deux gardes en armure d'apparat arrivèrent, portant à bout de bras un jeune homme à bout de force. C'était un Erasha, mais bien différent de Kazuo, car celui-ci était affilié aux chauve-souris. Ses yeux aveugles étaient fermés, et ses longues oreilles couverte d'un fin duvet dépassaient de sa chevelure châtain foncé, contrastant avec sa peau d'une blancheur maladive. Ses bras formaient des ailes, de la membrane s'étirant entre ses longs doigts, et seuls deux petites griffes à ce qui lui servait de poignets pouvaient lui servir à agripper quoi que ce soit. Ses pieds étaient énormes, et ressemblaient plus à des griffes lui permettant de se suspendre, de même ses genoux étaient inversés, se pliant dans le sens contraire à celui des humains, et ses jambes puissamment musclées étaient aussi recouverte de fourrure, tout comme son cou.
L'Erasha  gémissait alors qu'on le traînait, visiblement peu à l'aise sous la lumière qui s'étendait dans la salle à travers le motif du vitrail. L'enfant s'assit sur le trône, encadré de ses sujets, et toisait d'un air mauvais l'homme ailé qui était jeté à ses pieds par deux hommes portant un tabard noir orné d'un croissant de lune par-dessus une chemise de maille, et arborant une épée longue chacun à la ceinture.
"Wayne," prononça l'enfant d'une voix forte, "sais-tu pourquoi tu es ici ?"
La chauve-souris ricana d'une voix grinçante et aigu.
"Pour être puni d'avoir fait ce qui était juste..."
"Nous avons trouvé dans tes affaires une correspondance avec celui que l'on nomme "Orwell". Tu as averti un étranger de notre venue, pour qu'il envoie quelqu'un se mettre en travers de notre route !"
La voix de l'enfant était étonnamment forte, et résonnait furieusement dans l'immense salle du trône. L'Erasha se recroquevilla un instant, comme paralysé par la peur, avait de se laisser aller à rire aux éclats, faisant à son tour vibrer la pièce d'une démente hilarité.
"Votre route ?! Quelle arrogance ! Ne sommes-nous pas le Culte de la Lune ? N'avons-nous pas un credo à suivre ?!" Il se dressa fièrement, faisant disparaître son sourire et posant ses yeux clos sur le groupe qui le toisait. "Je sers les intérêts de la Déesse, et non les vôtres..."
"Que crois-tu ?" Cracha le vieux guerrier. "Que nous avons reconquis cette ville pour notre bon plaisir ?"
"Je ne parle pas de cela... je sais ce que vous voulez faire, Elle me l'a montrée. Sacrifier ce que nous avons de plus cher... rien ne justifie ça !!"
Le jeune homme devint rouge de rage.
"Nous devons accomplir la prophétie, c'est notre devoir !"
"Et vous la regarderez mourir sans rien faire s'il le fallait ?" S'enquit Wayne, d'un ton acide.
"Nous n'hésiterions pas. Plutôt la tuer que de la laisser entre leurs mains..."
"Alors je n'ai aucun regret..."
Il poussa un cri strident qui fit chanceler tout les hommes dans la pièce, et trembler le vitrail. D'un bond agile il s'éleva dans les airs, déployant largement ses ailes, comme un être révélant à la lumière du jour sa ténébreuse grâce tout droit sortie de la nuit... Battant de ses ailes membraneuses, il prit de la hauteur et fonça vers le vitrail, hurlant de plus belle et faisant éclater le verre en millier de petits éclats colorés, dansant dans le soleil comme autant d'étoiles en plein jour, au milieu desquels un ange de la nuit passait.
Mais des perles rouges commencèrent à goutter puis couler sur le sol. Un trait d'énergie venait de percer le torse de Wayne, laissant un trou d'où le sang s'échappait comme la vie qui commençait à s'éteindre dans ses yeux aveugles, s'ouvrant avec étonnement tout en cherchant au travers de l'obscurité, avant de mourir, le jeune homme qui avait la main levée, grésillant encore d'énergie, et qui venait de lui arracher la vie. Un dernier râle s'échappa entre les lèvres de l'Erasha, qui continua sa descente jusqu'à passer de la lumière à l'ombre d'une ruelle, son corps sans vie s'écrasant dans un bruit d'os brisés.


~¤~



Bien loin de ces évènements sordides, un homme contemplait d'un air concentré un plateau sur lequel était dessiné un motif complexe, fait de courbes s'entrecroisant et formant une étrange mosaïque où le regard se perdait au fil de ses arabesques entrelacées. C'était dans un salon assez spacieux aux murs couverts de plaques de bois, quand ils n'étaient pas composés de plaques coulissantes, faites de cadres de bois sur lesquels étaient tendus des tissus traités contre l'eau et le vent. Ils offraient à la pièce une lumière tamisée, et une fois ouverts, donnaient sur un long balcon offrant vu sur l'océan.
C'était un homme âgé, mais dont il se dégageait une impression de force et de respect. Plutôt grand, il était assis sur une pile de coussin et observait en silence des petites tuiles de bois, recouvertes chacune d'un symbole étrange, réparties sur le motif apparemment au hasard. Le vieil érudit avait de longs cheveux noirs, une bonne partie cascadant dans son dos mais certains étaient rassemblé en un élégant chignon maintenu par une baguette de métal.
La robe qu'il portait était couverte d'un motif de flammes stylisées, autour de la taille une ceinture rouge vif était nouée, et elle avait des manches amples d'où sortaient ses mains ridées aux doigts un peu crochus. Il bougeait distraitement les pièces de bois, pensif, son visage marqué par l'âge gardant des traces d'une vivacité d'esprit importante, que son regard couleur d'acier transmettait en même temps que sa grande sagesse au travers de ses yeux bridés. Une longue et fine moustache descendait plus bas que son menton, et ses lèvres étaient tirés en une moue de réflexion intense.

Dans la pièce couverte d'un parquet en bois, il n'y avait que cette table, assez basse, autour de laquelle des coussins étaient éparpillés afin de s'asseoir. Mais si rien d'autre n'occupait le grand espace qui composait la salle, les murs eux étaient mis à contribution, de nombreuses armes y étant accrochés. Il y en avait de toutes sortes et origines, venant du monde entier, allant du couteau recourbé manié par les Arracheurs de Peaux Tanathos à la lance à lame dentelée des Sans-Vie de la Cité Délétère, en passant par le fléau d'arme des Erashas Hérissons des Collines d'Émeraudes.
Toutes ses armes potentiellement dangereuses et soigneusement entretenues étaient exposées selon un ordre bien précis, et, juste au-dessus de la porte coulissante permettant de sortir, sur un présentoir plus imposant que les autres qui indiquaient simplement d'une petite plaque en cuivre la provenance de l'objet, il y avait un unique mot, gravé avec soin, juste en dessous d'un katana à la lame noire dont la surface était telle un miroir, donnant une apparence d'obsidienne au métal légèrement recourbé avec sous le tsuba en or une poignée couverte d'un long ruban rouge ; et ce mot n'était autre que "Kishin".

Brusquement, un jeune homme entra non sans précipitation dans la pièce, manquant de trébucher alors qu'il s'approcha de son maître. Il était vêtu d'une tunique marron assez sobre, tout comme son pantalon, et, entre quelques halètement signe d'une course effrénée, il dit au vieil homme qui ne daigna même pas le regarder :
"Maître Daisuke... le conseiller Haruki... vous fait mander... une missive est arrivé et... le forgeron... il est..."
"Mort." Répondit simplement Daisuke. "C'est étrange. Le Jeu aurait du commencer autrement."
Le vieil homme croisa les bras, et sur la table, certaines pièces se mirent à bouger toutes seuls, lentement, glissant en même temps vers d'autres positions. Sur l'une des pièce apparut une flamme verte, qui dévora le morceau de bois jusqu'à ce qu'il disparaisse, ne laissant pas de cendres, ni aucune trace de sa présence.
"Dites au conseiller que j'arriverai bientôt. La partie n'a fait que commencer, et les règles changent déjà... j'ai hâte de voir le prochain coup..."



Rédigé par Maître Renard

16/04/2013

L'écorcheur de Lune ~ Second chapitre


~ De Charybde... ~

En des temps anciens, alors que nul royaume n'avait d'existence, et que la terre était encore vierge de toute culture, lors d'une nuit de pleine lune, un enfant se perdit dans une sombre forêt. Se retrouvant seul en une clairière, sous le regard de l'astre lunaire, il se mit à pleurer. Touchée par sa détresse, la Déesse de la Lune prit forme devant l'enfant, le baignant de sa douce lumière.
"Sèche tes larmes, je vais te guider jusqu'aux tiens."
Le jeune garçon vit se tarir ses larmes, et saisit la main de Dame Lune, qui éclaira les sombres bois d'un halo argenté, et disparut quand le feu du camp où étaient sa famille fut visible. En grandissant, il n'oublia jamais qu'un jour un esprit d'une grande beauté avait ressenti quelque chose pour lui. Le visage et le corps si majestueux ne quitta pas ses pensées, et il finit par revenir maints et maints fois dans la clairière, toutes les nuits de pleine lune, à implorer cette dernière de venir à nouveau le voir. Mais la Dame avait pu voir dans le cœur de l'homme la flamme qui l'animait, or elle était un astre et lui un être de chair et de sang...
La passion se tarit et l'homme finit par être rongé par le chagrin, ce dernier se muant en haine...

Il jura de se venger de la Lune, qui lui avait tendu la main pour ensuite l'abandonner, de n'avoir aucun repos avant d'avoir vu son désir exaucer. Et depuis ce jour, jamais elle ne redescendit des cieux, pour qu'aucun homme ne puisse à nouveau s'éprendre d'elle et en venir à la haïr.

~¤~

"Vous allez me dire pourquoi vous...?"
"Non." Trancha la jeune femme.
"Il va bien finir par se réveiller, et il va falloir s'expliquer, jeune dame."
"Sauf si je l'assomme à nouveau." Rétorqua-t-elle froidement.
"Vous risquez de nuire à ses facultés mentales."
"Pour ce qu'il en reste..."
Cela faisait déjà une bonne heure que nous étions montés sur une carriole remplie de foin devant appartenir à un paysan, et la dénommée Asdis ne me laissa guère le choix, embarquant à bout de bras Kettil vers la charrette qui semblait l'attendre, avec deux ânes pour la tirer vers le port de Peu-Liés. Elle souleva le jeune homme et l'envoya reprendre ses esprits avec la cargaison, avant de monter prendre les rennes. Je n'aurais sans doute pas du m'en mêler, mais quand je sentis Froux grimper rapidement jusque sur mon épaule, et me donner un coup de langue affectueux sur la joue, croyez-le ou non j'eus pris le parti de ne pas laisser ce pauvre garçon en les mains d'une jeune femme qui semblait ne pas le porter dans son cœur.
Elle devait avoir une vingtaine d'année, sans doute un âge proche de celui de Kettil, et était assez jolie même si dans ses yeux bleus brûlait une flamme laissant clairement entrevoir qu'il valait mieux ne pas la contrarier. Elle était vêtue plutôt simplement, comme on pourrait s'y attendre de la part d'une paysanne, même si sa peau claire et ses boucles d'oreilles ayant l'air plutôt chères témoignaient d'un milieu plus aisé. Ses cheveux étaient blonds comme les blés, et elle devait avoir attachés l'arrière de sa chevelure sous le bandana qu'elle portait, laissant quelques mèches encadrer son visage.
"Bien, si vous ne voulez pas parler de Kettil, éclairez-moi au moins sur ce qui vient de se passer en ville."
"C'est sûr qu'avec tes oreilles et ta queue, tu dois être un peu paumé. Faut dire que les Erashas sont pas trop présents par ici, vous êtes plus dans les terres alors que par ici on commerce avec les empires insulaires..."
"Mais encore ?..."
"Bref," trancha-t-elle, "c'est sûr que vous autres vous connaissez pas trop notre histoire... La lune a toujours eu beaucoup d'importance dans notre Royaume, ses cycles pour les cultures, son attraction pour les marées... autant dire que la Déesse a toujours eu une place de choix dans nos cœurs, au détriment d'autres déités."
"Croyez-moi, pour avoir voyagé loin, la lune a toujours une place de choix au panthéon." Précisais-je. "Et ce Culte, serais-ce une divinité oubliée qui concurrence la vôtre ?"
"Oh non, le Culte de la Lune est au contraire un ordre s'étant formé ici en même temps que le royaume. Mais sous prétexte d'une menace que seuls leurs grands prêtres connaissaient, ils commencèrent à taxer les paysans, afin de créer une milice pour protéger les villes, et assurer la protection de leurs fesses. La famille royale finit par renverser la tendance, et botter le train de ces dégénérés. Tous les textes religieux, et ce qui les concernait fut détruit par les flammes qui dévorèrent leur abbaye, avant qu'elle soit reconvertie en palais."
"Charmant..."
"C'était il y a quatre générations. Le seul à encore savoir quelque chose sur eux, c'est Eilert Bjark, mon arrière-grand-père."
Je regardai dans le lointain, un léger sourire pendu à mes lèvres, murmurant dans le vague :
"Fortuna est avec nous..."
"Qui ?"
"Fortuna, la Déesse de la chance au deux visages, qui peut aussi bien se montrer bonne que mauvaise. Elle appartient au panthéon des terres de l'Ouest et du Nord."
"Et pourquoi dis-tu cela ?" Demanda-t-elle, suspicieuse.
"Ma mission était de délivrer un message à votre arrière-grand-père." Elle posa sur lui un curieux regard, semblant vouloir en savoir plus. "Je suis un coursier, sans plus. J'ignore le sens du message. Ça l'avertissait d'un éventuel retour du Culte, et quelque chose à propos des "larmes de Kishin", mais là encore je ne sais pas ce que c'est. Une idée ?"
La jeune femme resta pensive, les yeux tournés vers le ciel. Son visage avait quelque chose qui me faisait penser à un diamant, matière brute et résistante mais qui, une fois taillée, révélait une beauté, une fragilité apparente qui avait quelque chose de touchant. Elle lâcha un soupir et posa ses yeux durs sur le chemin que nous suivions, ne daignant pas me regarder. Cet Asdis était sans nul doute une fille de la noblesse, cela se ressentait à son silence, qui semblait réfuter avec style mon existence ; mais elle finit par me répondre.
"Je ne sais pas de quoi il s'agit, mais je comptais aller quérir l'aide de la famille impériale de l'archipel des Pleurs sans Fin. Grand-papy y a vécu dans sa jeunesse, et était très ami avec le grand-père de l'actuel Empereur."
"Très bien, je suis des vôtres."
"Hors de question, un étranger n'a pas à se mêler de nos affaires !"
Sous le cou d'une impulsion, je glissai mes mains sous le tissu et empoignai l'arme qui était posée sur mes genoux, et la dégainai afin de la brandir vers le soleil. C'était une arme exceptionnelle, sa lame était noire, et sa surface réfléchissante, fine, longue, et d'une étonnante légèreté. La garde était courte et plaquée d'argent, contrastant avec la noirceur de l'arme, alors que la poignée était en cuir soigneusement traité. Il n'y avait pour pommeau qu'un petit cristal sphérique qui brillait comme habité par le feu quand le soleil le frappait. Même dans mes habits des plus modestes, je donnais l'impression d'être un prince en brandissant cet arme.
"Elles le sont depuis que j'ai accepté de porter ce courrier, et encore plus lorsque votre parent m'a confié cet épée."
Je la rengainai, et constata que le fourreau était en cuir tout simple, et ne rendait pas hommage à la beauté de l'arme. Sans doute pour éviter les tentations. Le reste du voyage se fit silencieux au début, avant que nous n'échangeâmes quelques banalités, et finîmes par nous détendre et même rire un peu. Derrière nous, nous pouvions entendre Kettil ronfler, Froux blottit sur sa poitrine.

Nous fûmes arrivés au port de Peu-Liés juste avant la nuit, mais nous restâmes à bonne distance, si bien que je ne pus voir la cité, perdue dans l'ombre à l'est du mont Peu-Liés. Asdis m'apprit que le nom de ce port vient du fait que les marins qui y vivent viennent de nombreux horizons, et n'ont pas réellement de foyer ancré en ces terres où en une autre. En réalité, ils sont fils de l'océan, et peu liés à la terre qui les a vu naître, car leurs cœurs appartient à l'embrun qui les aspergent lorsque les caprices de l'Impétueuse, ou Manami comme l'appelle les impériaux, la Déesse des flots aussi capricieuse que magnifique à en croire les légendes transmises parmi les marins.
Nous fîmes un feu, et profitions des provisions que j'avais eu la prévenance de prendre en cas de coup dur, ne sortant que quelques morceaux de viande séché pour chacun, gardant pour plus tard le reste, sinon faire des provisions serait un effort bien inutile. La nuit tombait et je sentais une curieuse tension entre mes compagnons depuis que Kettil, quelques heures auparavant, avait repris connaissance, une sorte d'électricité dans l'air qui me dérangeait. Je sortis de mon sac une fine couverture de laine, et me mit en place pour dormir, me servant dudit sac comme coussin.
"Puisque vous semblez peu prompt à engager une conversation autre qu'au travers de regards ponctuant vos longs silences lourds de sens que seuls vous comprenez, je vais dormir."
"Mais c'est elle qui... !" Commença Kettil, avant qu'Asdis ne lui lance un regard venimeux.
"Bien." Lâcha-t-elle, un soupçon de tristesse perceptible au fond de sa voix. "Lui et moi nous connaissons, et même bien. Si tu veux tout savoir Kazuo, avant qu'il ne devienne ce crétin écervelé obnubilé par sa peluche, Kettil était mon fiancé.
Puis elle nous laissa là, le jeune homme regardant les flammes, impassible, et moi abasourdi par la révélation. Asdis s'en alla s'allonger dans le foin, et alors que je me couchais, il me semblait entendre des pleurs.

~¤~

C'était comme s'il s'était retrouvé perdu dans les plaines du Bout du Monde, bien que les ténèbres qui l'entouraient ne lui permettait de rien discerner, il avait l'intime conviction qu'autour de lui régnait un vide absolu, sans fin, sans consistance, ce qui pouvait se rapprocher le plus du néant. Il n'y avait que le sol, un sol plat, sans aspérité, et alors qu'il fit quelques pas, l'Erasha avait l'intime conviction que le sol resterait ainsi, où qu'il aille. Une plaine infinie, sans début ni fin, sans distinction. Kazuo n'était rien, quelque part dans un immense rien.
Il avança, avança, parcouru ce qui semblait être un océan de ténèbres dont le silence pesant était seulement troublé par le bruit étouffé de ses bottes, quand soudain quelque chose perça les ténèbres : une lueur rouge se fit voir, et le renard à l'allure humaine s'en approcha à pas prudent. Son corps finit par être baigné d'un éclat carmin, alors qu'il vit se dessiner devant lui un bassin creusé dans la roche, rempli de ce qui semblait être du sang. Sa surface était aussi lisse que pouvait l'être le sol, nullement irisé par un quelconque courant d'air. Et, alors qu'il n'était qu'à quelque pas d'elle, l'eau fut parcourue par une onde, un frisson, puis quelques autres, avant que quelque chose ne vienne percer sa surface. Deux mains jointes émergèrent, les bras s'écartant d'une façon un peu théâtrale à mesure qu'ils remontaient, alors que l'être semblait surgir de l'eau comme par enchantement. De longs cheveux noirs masquaient son visage, ruisselant de sang, tout comme sa peau qui luisait de l'éclat rouge malsain qui se dégageait de son sinistre bain. Il posa les mains sur le rebord, et leva la tête pour fixer ses yeux d'un bleu glacial, froid comme la mort, sur Kazuo.
"Alors ce serait toi, le fameux Eilert Bjark..." Lâcha-t-il d'une voix douce, mélodieuse, mais qui arracha à Kazuo un frisson de peur...

"Vous vous méprenez monseigneur, je ne suis pas l'homme que vous recherchez."
L'homme plissa les yeux, et observa celui qui lui faisait face de haut en bas, détaillant chacune des  parcelles de son corps que pouvait révéler la lueur rouge du bassin dans lequel il trempait. Puis ses yeux s'éclaircir, comme s'il avait une révélation. Il regarda alors ailleurs, l'air pensif, comme s'il observait quelque chose perdu dans l'océan insondable de noirceur les entourant.
"Ce n'était pas censé se passer ainsi... ce n'aurait pas du être lui qui fut en ce lieu..."
"Pardonnez-moi mais qu'est cet endroit au juste ?"
Reportant ses yeux d'un bleu arctique sur le renard, l'homme le contemplait avec méfiance, tout en gardant un rictus amusé au coin des lèvres. Il semblait se délecter avec amusement de la question qui lui était posée, comme si la réponse était évidente, et les interrogations de Kazuo ne faisaient que grandir, notamment sur l'état mental de l'individu qui devant lui se baignait dans ce qui semblait être du sang.
"Tu es toujours là où tu te trouvais tout en étant à milles lieux de là-bas. Tu es partout et nul part à la fois, cet espace existe sans exister ; il est le reflet de ce que nous sommes, façonné par notre volonté. Vous appeler ça un rêve, mais ceux dont la force d'esprit est implacable lui donne matière hors des limites de la chair."
"C'est un rêve ?" S'enquit Kazuo, perplexe.
L'homme éclata d'un rire froid, qui résonna avec force autour d'eux.
"Non, ton esprit a été attiré ici, dans ce monde né du mien. Ce lieu existe sans exister, il n'est que le fruit de ma volonté, et la volonté y fait loi. Je suis loi."
Comme pour illustrer ses dires, le vent se mit à souffler, venant caresser les cheveux de feu de Kazuo, et ceux noirs ail-de-corbeaux de son sinistre interlocuteur. Un moment de tension passa entre les deux individus, le silence se fit alors qu'ils se toisèrent, le renard cherchant une logique, une échappatoire, tandis que l'homme au regard de glace jaugeait avec attention l'Erasha captif d'un rêve qui tenait plus du cauchemar.
"Qui êtes-vous ?" Demanda Kazuo, d'une voix neutre, pesant ses mots avec prudence.
"Je suis loi." Répéta-t-il simplement, esquissant aux coins de ses lèvres un sourire.
"Alors vous vous nommez Loi ?" Rétorqua le rouquin.
Un rictus méprisant s'empara des traits creusés par la maigreur du sombre homme.
"C'est comme ça que tu me nommeras, bâtard engendré par la pitié, et que le monde me connaîtra quand tous s'agenouilleront devant moi !" Il frappa le sol du poing, faisant clapoter l'eau alors que son corps semblait bouillir de rage. "Un autre aurait du se tenir à ta place, tremblant de peur et caressé par ma divine lumière..."
Son corps se mit à irradier d'une lueur blanche, alors qu'il levait les bras vers le ciel et relevait la tête, et le renard put le regarder plus en détail. Son corps était jeune, finement musclé, et faisait sans doute de lui un impitoyable guerrier, mais quelque chose en cet homme paraissait vieux, usé, comme brisé par la vie et perdu dans des pensées d'un autre temps, que seul lui pouvait percevoir. Le regard voilé de noirceur, il le plongea dans celui de Kazuo.
"Que tu sois ou non Bjark, cela ne changera rien. Donne-la moi ou tu mourras."
"Donner quoi ?" S'enquit le concerné, un peu inquiet.
"Alors tu ignores tout... ou tu tiens à mourir," siffla-t-il. "Soit, je ne le répéterais pas deux fois."
Levant la main vers le rouquin, ce dernier sentit un frisson le parcourir. Les ombres autour de lui semblèrent s'animer, danser sous l'effet de la fureur de l'étrange ; des formes étranges, menaçantes, firent s'éveiller en l'Erasha un soupçon de crainte, de peur, alors que tout ce néant l'entourant sembla se dresser contre lui... Une main se forma, s'insinuant lentement dans son dos, vers sa gorge, et les griffes immatérielles enserrèrent pourtant réellement la trachée de Kazuo, qui ne put que se débattre, les poils hérissés, alors qu'il commençait à suffoquer face à cet ennemi intangible, face au regard chargé de froid qui semblait briller d'une malsaine malice. Mais, alors que l'oxygène lui manquait sous l'effet des phalanges d'ombres, quelque chose sembla glisser entre ses doigts : une poignée dont il se saisit, désespéré, et, instinctivement, brandit l'épée qui s'était frayé un chemin jusqu'à ses doigts, tranchant e se retournant le bras ténébreux qui le privait d'air. L'homme poussa un hurlement, fou de douleur, mais Kazuo reporta son regard vers la lame, et se rendit compte qu'il s'agissait de l'épée de Bjark.
"Monstre !! Tu l'as amenée ici, dans mon sanctuaire !! Je... je..." La rage se changea en peur, pour redevenir une colère monstre qui se dirigea vers les ténèbres par-delà la lumière émanant de l'homme. "Garce, je te tuerais tu m'entends !! Je t'arracherai la peau astre de malheur, je t'écorcherai, comme tous les autres !!"
Puis une lumière irradia le paysage, et tout disparu.

~¤~

"Lève-toi, mon être aimé." Murmura avec douceur une voix féminine à mes oreilles poilues.
"Azaléa ?" Lui répondis-je.
D'un rire cristallin la voix m'offrit sa réponse, qui semblait être non, et je me rendis compte que ce n'était pas la voix de mon amour de jeunesse, Azaléa, une jolie Erasha renarde au tempérament enflammé qui avait su me captiver. Mais après notre adolescence je suis parti en voyage, promettant de revenir un jour, et lui demandant de ne pas m'attendre. J'étais jeune, ivre d'aventure, et ce n'est qu'à mon retour, découvrant que ma mère était sur le point de rendre son dernier souffle, que je compris que l'amour était une chose importante. A Val l'Ancienne, je retrouvais au seuil de la maison familiale son père qui m'annonça d'une triste voix qu'elle était mariée, même s'il n'appréciait guère son marin, à l'inverse de moi. Je n'ai pas cherché à en apprendre plus, et ais trouvé ce travail auprès d'Orwell. J'oubliais bien vite les tracas amoureux, et me laissa aller à mes penchants aventureux ; la vie était pleine de surprise, après tout.
Et c'est pour cela que je décidai d'ouvrir les yeux ; et je fus tout d'abord ébloui par la lumière diffuse qui me baignait. J'étais allongé sur une surface cotonneuse, douce, et en me relevant, mes yeux habitués observèrent ce qui m'entourait. J'avais l'impression de me retrouver dans un lieu exactement comme celui que je venais de quitter, mais en étant son inverse opposé. Tout était baigné d'une lumière douce, et même si je ne distinguais rien dans cet espace immense, il ne semblait pas oppressant. Des flocons de neige voletaient tout autour de nous, mais il faisait chaud, et le sol sur lequel nous étions faisait penser à un nuage, si tant est que ces derniers fussent moelleux.
Et je dis nous car je n'étais, bien entendu, pas seul.
"Je suis heureux de te parler, toi que j'aime plus que tout au monde."
"Excusez-moi mais... on se connait ?" Demandais-je, intrigué.
"Bien sûr que non. Pas sous cette forme du moins..."
C'était une jeune femme qui ne devait guère avoir plus de vingt-six ans. Elle avait un petit nez et un air mutin accentué par son sourire, ses lèvres fines révélant de belles dents blanches. Ses yeux étaient d'un gris loin d'être terne, brillant, et dans lesquels on pouvait voir luire selon la lumière de petits éclats de bleu, de rouge, de vert... de toutes les couleurs. Ses fins sourcils accentuaient son regard charmeur, de même que ses longs cils. Ses oreilles étaient dissimulés sous sa longue chevelure encadrant le visage en ovale de la jeune femme, les mèches argentés descendant jusqu'au bas de ses reins, suivant la délicate courbe de son corps. Sa poitrine n'était pas des plus généreuse, mais cela ne nuisait en rien à l'harmonie de ses formes, couvertes par une robe blanche et fine, laissant ses avant-bras nus de même que le bas de ses cuisses, qu'elle mettait en valeur en s'étant assis sur le côté, comme si elle cherchait à me charmer, impression confirmé par son regard, traduisant une grande fascination à mon égard.
"Tu es ce héraut qui me sauvera, n'est-ce pas ?"
"J'ignore même qui vous êtes, ma dame." Lui répondis-je.
Elle rit.
"Les réponses viendront en leur temps. J'ai écarté notre ennemi de toi pour cette nuit, et je te protégerais les suivantes. Tu n'as rien à craindre tant que tu es avec moi." Elle marqua une pause, et posa sa main sur la mienne. "Ecoute, il y a longtemps des hommes ont écrits une prophétie à mon propos, ont déjà décidé de mon avenir et fait en sorte que ce terrible destin m'arrive ; mais ce n'est qu'une possibilité, même les Dieux ne peuvent voir que des chemins qui s'ouvrent dans l'avenir, et il n'appartient qu'à nous d'emprunter ceux que nous voulons. Mais je ne suis qu'un astre, une Déesse des Cieux, et je ne peux changer le destin que choisissent les hommes."
"Je... je ne saisis pas tout ce que vous racontez, là..." Avouais-je, un peu confus. "Je dois être fatigué avec ces... rêves..."
"Tu es futé, mon amour de renard, mais c'est peut-être un peu trop pour toi. Il y aurait beaucoup à dire, et je dois faire vite, venir à toi m'épuise. Continue ta route mon preux chevalier à la fourrure rousse, la vérité se trouve dans le métal qui a divisé les hommes..."
"Je suppose que ces paroles finiront par avoir du sens." A ma remarque, elle rit, et je fis de même. "Vous êtes belle, ma dame, mais je préfère me montrer prudent. Vous le comprenez je suis sûr, et je verrai comment tourne les évènements. Tout ceci semble me dépasser..."
J'étais assis sur le sol, jambes étendues, et elle vint à me rallonger  non sans douceur, avec un air mutin, avant de passer à califourchon sur moi en riant aux éclats. Je l'accompagnai, d'un rire léger, et plongea mes yeux dans les siens, mais j'eu l'impression que cela était si... faux... un doux parfum me titillait les narines, enivrant mes sens, et son regard, ses yeux aux reflets arc-en-ciel... quelque chose en moi hurla, et, mon cœur s'affolant, je repoussai quelque peu brutalement la belle jeune femme, et reculai, la respiration haletante, me sentant piégé par les charmes enjôleur de cette créature de rêve... Elle me toisa sans bouger, me jaugeant, un éclat étrange dans le regard, dangereux, avant d'animer ses lèvres d'un sourire peu rassurant...
"Tu finiras par m'appartenir, mon héraut au pelage de feu..."  dit-elle dans un souffle, sans me quitter du regard

Rédigé par Maître Renard

26/03/2013

L'écorcheur de Lune ~ Premier chapitre

~ Le royaume de Carlsberg ~


L'essentiel de la race humaine est concentré de larges espaces fertiles, au centre de ce que l'on connait du monde, et se conforte depuis des siècles dans un mode de vie seigneurial. Tout ces royaumes humains sont avoisinants et, depuis qu'ils ont vu le jour, ne cessent de se disputer des terres, au grand désarroi de leurs serfs ; mais Carlsberg n'est pas concerné. Bordé au nord par les montagnes, à l'ouest par les terres Erashas, et au sud et à l'est par l'océan, c'est devenu un royaume prospère, qui développa un important commerce maritime. Les prouesses de la technique et le travail de la terre les éloignèrent de l'usage de la magie, tant et si bien qu'ils eurent au fil du temps une certaine inimité à l'égard des Esharas, et de tous les sorciers en général...

~¤~


J'aimais beaucoup la région entourant Val l'Ancienne, bien loin du froid du nord qui m'avait vu grandir, et les champs de céréales dorés qui rompaient avec le tapis herbeux, ainsi que la sombre obscurité des quelques bois qui parsemaient ces terres. Le début de mon périple se fit dans le calme, je suivais la longue voie menant à l'est, au le royaume de Carlsberg, que je finis par atteindre au bout de deux jours de voyage, passés paisiblement dans le chariot d'un aimable marchand à la conversation des plus agréable.
Lentement les vallons boisés et les cultures éparses des rares paysans Esharas laissèrent place à des plaines bercées par un doux vent, couvertes par d'immenses champs cultivés. Je pus voir de tout depuis la charrette dans laquelle je me trouvais, depuis les céréales jusqu'aux vergers, en passant par les immenses cultures potagères. D'imposantes masures étaient visibles ça et là, demeures de pierres aussi sombres que celle des montagnes du nord, se détachaient dans la clarté du paysage, témoins de la grande vie animant les paisibles champs de Carlsberg. En début de soirée, je pus voir à l'horizon que les plaines remontaient en pente pour former une imposante butte, dissimulant la cité que je devais atteindre. Mon ami marchand me déposa alors que le soleil déclinait à l'horizon près d'un petit bosquet servant justement pour le repos des voyageurs. C'était à une croisée de chemin, quatre voies partant chacune en direction d'un point cardinal, avec au centre un cercle d'arbre, recouvert d'une herbe verte et parfaite pour se reposer sous le délicat éclat du soleil printanier, ou dormir sous les étoiles.
Je venais de l'ouest, et me dirigeais vers l'est. Au nord je devinais au loin la ligne noire de l'Épine Dorsale, chaîne de montagnes noires se détachant sur le bleu du ciel telle une rangée de crocs menaçants, qui semblait oppressante même malgré la grande distance. Le commerçant m'ayant pris comme passager quant à lui prit la voie du sud, espérant rejoindre le port de Peu-Liés, au pied du mont du même nom. Je le saluai donc, et mis pied à terre. Le temps était si beau en ce début de soirée que je me serais bien arrêté pour savourer la caresse de la lumière sur mon visage ; mais j'avais encore le temps d'atteindre le bourg que je recherchais. Je contournai donc le bosquet quand, alors que j'allais emprunter le chemin vers l'est, quelqu'un se fit entendre.
"Voila un drôle de renard, pas vrai Froux ?"
Je me retournai avec surprise, et tombai nez-à-nez avec un jeune homme arborant un étrange sourire, une drôle de boule de poils rousse juchée sur son épaule. Il semblait amusé à ma vue, ses yeux verts plantés sur moi, et il plongea l'une de ses mains dans sa chevelure noire courte et coiffée vers l'arrière, et qui voulait apparemment revenir couvrir son front. Vêtu en vert foncé, il approcha.
"Je peux vous aider ?" Demandais-je.
"Qu'est-ce que tu fais par ici le poilu ? On aime pas trop les étrangers par ici, hein Froux ?"
La créature, un genre de furet roux au visage un peu écrasé, tâché du même blanc que ses oreilles, se redressa, et me dévisagea avant de pousser un petit cri.
"Tu ferais mieux de rentrer chez toi..."

Je continuais ma route sans jeter un regard derrière-moi, exaspéré. Le drôle de personnage tenta de me persuader de partir, mais je n'en fis rien, arrivant en haut de la butte qui jusqu'ici me cachait le reste des plaines s'étalant jusqu'à l'océan, que je pus enfin voir depuis mon perchoir, se découpant au-delà des champs en patchwork de belles couleurs, parsemé de points noirs qui devaient être les fermes ; et puis un long serpent d'eau descendant des montagnes, virant au centre de ces terres vers l'est et l'océan, et sur laquelle se dressait fièrement une imposante forme qui se détachait des champs de blé et d'orge, encore jeunes en cette saison : le bourg de Kronen, cité fortifiée sur les rives du fleuve Affligemme.

Le bleu du ciel devenait un peu plus foncé à l'horizon, laissant présager que la soirée allait d'ici quelques heures laisser place à la nuit noire ; autant me dépêcher. J'entendais derrière-moi l'individu aux yeux de jade et son compagnon animal me crier quelque chose, mais je n'y prêtai pas attention, les paysans devaient être un peu hostiles à l'encontre des nouveaux-venus, d'autant que les Erashas allaient assez peu dans cette contrée agricole, n'ayant d'intérêt que pour ses ports permettant d'accéder aux étranges Terres de l'Est, par-delà l'océan.
Quelques dizaines de mètres plus loin je pus constater que ce qui m'avait semblé être une habitation était en réalité un débit de boissons, qui me rappela immédiatement mon village natal, ce dernier étant principalement renommé pour sa taverne. Ce devait être les relents d'alcool et les rires gras qui faisaient échos à ma mémoire, tout comme les hommes qui en sortaient en titubant légèrement, sans doute des fermiers ayant un peu bu avant de rentrer se reposer d'une dure journée de labeur. Autant dire que je ne m'attardais pas plus que cela, j'avais une mission et le reste importait peu. Pour moi du moins.
-Eh, qu'est-ce tu fous là toi ?! Me héla l'un des clients, un fermier bedonnant sentant fort la bière bon marché.
"Ouais, on veut pas de saleté de magicien ici !" Cracha un homme un peu sec, affublé d'une salopette et d'un chapeau ayant du être un vieux sac en tissu amidonné dans une autre vie.
Je ne répondis aucunement à leurs injures et continuai mon chemin, mais un troisième homme fonça maladroitement vers moi alors que je passais devant lui, tentant de m'asséner un coup de poing, que j'esquivai d'un élégant pas sur le côté, avant de précipiter sa chute en prenant de mon pied appui sur son postérieur. Ses deux compères en profitèrent pour se ruer vers moi, et me retournant je lâchai un soupir, ne voulant pas me retarder en distribuant des pains à quelques affamés quelque peu agressifs envers ceux appartenant aux peuples dit "magiques". Heureusement, un jeune homme tel que moi n'eut aucun mal à être plus vif et rapide que trois brutes imbibées d'alcool, et bien vite à force de gnons et d'horions justement placés ils furent mis au tapis.
"Derrière-toi !" Me lança une voix familière, juste à temps pour que j'évite de me faire assommer par un autre bougre à la barbe broussailleuse et à la carrure qui aurait fait pâlir un meuble en chêne massif.
Ce dernier, pataud et emporté par son élan, manqua de s'étaler. J'eu juste le temps de voir arriver en courant le jeune homme étrange rencontré plus tôt, qui m'empoigna et m'enjoignit à courir à sa suite, ce que je fis sans discuter et avec plus de zèle en entendant le colosse barbu appeler à l'aide.

"Merci..." Soufflais-je entre deux respirations saccadées. "Mais j'aurai cru... que tu les laisserais faire... plutôt que m'aider à... fuir..."
Après avoir couru comme des dératés, nous nous étions dissimulés dans une grange abandonnée, le temps de reprendre notre souffle et de nous assurer que nos poursuivants ne nous causeraient aucun souci.
"Comment cela ?" S'enquit mon nouveau camarade.
"Et bien, au vu de ton discours dissuasif... j'ai cru que tu étais ce genre de personne... pfiou... ils auraient pu me couper les oreilles et la queue..."
"Oh, moi non, mais eux si. Enfin moi je m'en fichais, mais Froux voulait que je t'empêche de te faire zigouiller."
"La peluche là ?" M'enquis-je en pointant le furet roux qui était fiché sur l'épaule du jeune homme. "Elle parle ?"
"Bien sûr ! Et Froux n'est pas une peluche..." Il prit l'animal dans ses mains, et me le présenta à bout de bras avec un air enjoué. "C'est un Dieu !!"
"Que... quoi ?..." Balbutiai-je, surpris.
"J'ai rencontré Froux en voyage dans les Terres de l'Est, dans une forêt de lances géantes avec des feuilles, où vivaient des ours noir et blanc. Je crois que je suis tombé du haut d'un précipice, et j'ai rencontré ce Dieu qui passait par-là !"
"Il a du tomber sur la tête..." Marmonnais-je à moi-même.
"Je sais que c'est dur à croire, mais Froux est un Dieu, mais qui voyage incognito sous forme d'un animal."
"Et il possède des pouvoirs fabuleux je présume..." Lui lançais-je, à demi-amusé.
"Bien sûr, mais il ne peut pas les utiliser, il est incognito j'ai dit."
"Oh, je vois..."
"Il me parle dedans la tête parce qu'il peut pas s'exprimer de lui-même des mots pour pas trahir son incognitisme. Un léger silence s'installa, durant lequel il remit l'animal sur son épaule. Et sinon, que fais-tu par ici, monsieur le poilu ?"
"Mon nom est Kazuo, et tu devrais le savoir si tu as un Dieu avec toi."
"Oh mais Froux est un Dieu du ciel tombé sur terre, il peut pas faire ce qu'il veut et savoir tout des choses du monde."
"Et bien... Je cherche un homme, pour lui livrer une lettre. Peut-être le connais-tu."
Je glissai ma main dans ma besace, en ressortant la lettre portant le nom du destinateur, un certain Eilert Bjark, et la tendit au jeune homme, qui s'en saisit avant de secouer vivement la tête.
"Bien sûr que je le connais, c'est un homme important au bourg. Je peux te conduire à lui. Oh, et je m'appelle Kettil, enchanté de te connaitre Kazuo le poilu."
"Moi de même, Kettil l'illuminé..."
"Comment ça ?" S'enquit-il, l'air suspicieux.
"Tu es accompagné d'un Dieu non ? Sa lumière doit te guider par conséquent."
"Oh je vois..."
Il rit, et me rendit la lettre que je rangeai. Nous partîmes donc, reprenant la route vers le bourg qui n'attendait plus que nous...

~¤~


Une voix grave et agressive tira Jiorg du léger sommeil qui s'était emparé de lui alors que les hommes le traînaient. C'était plus par faiblesse que par fatigue, lui qui avait été fort et bien bâti était devenu fragile et famélique. Depuis combien de temps était-il enfermé ici ? Il n'aurait su le dire, et c'était sans aucun doute le but de cet endroit et de ces hommes, de le réduire à cet état où son esprit n'était plus qu'une coquille presque vide, plus qu'un nom et des souvenirs faisant écho d'une vie lointaine et perdue dans les tréfonds d'une obscurité empreinte de malveillance. Il entrouvrit les paupières, mais dut bien vite les refermer, car la pièce dans laquelle il avait été amené était emplie de lumière, et ses yeux peu habitués étaient blessés par l'éclat de ces flammes qui dansaient en dissipant les ténèbres. Deux hommes le soutenaient par les épaules, le faisant se tenir debout.
Une étrange chaleur envahit son visage, suivit de la douleur, sensation qu'il avait presque oubliée. Une gifle. Des mots lui furent crachés au visage, mais il ne saisit pas tout. Cependant, il sut qu'il devait ouvrir les yeux, ce qu'il fit malgré la douleur. Des larmes commençaient à perler à cause de la douleur, et il ne put discerner que de vagues formes parmi la lumière, dont celle d'un homme, celui qui l'avait frappé, qui s'écarta pour en laisser un autre approcher.
"Agenouille-toi !" Exigea l'homme qui devait être le geôlier, alors que son maître s'avançait devant Jiorg.
Ce dernier fut relâché, et laissé debout, les jambes tremblantes. Mais il se tint droit, et cracha comme il put au pied de l'inconnu. En réponse, un bruit aigu se fit entendre, un bruit qu'il connaissait, et il comprit en sentant une vive douleur : une lame que l'on sort du fourreau, celle-là même qui venait de se ficher par derrière dans le genou, le forçant avec un cri de douleur à poser pied à terre.
L'homme s'approcha en riant doucement, et de deux doigts il se saisit de la mâchoire du pauvre homme avec fermeté, et se pencha au-dessus de lui en l'obligeant à poser son regard dans le sien. Les yeux du maître des lieux étaient d'un bleu glacial, et sa voix, qui résonna avec douceur, l'était tout autant.
"Cela fait des lunes et des lunes que tu es enfermé ici. Plus personne ne viendra te chercher, plus personne ne se soucie de toi, car... tu n'es plus personne... Mais je peux te relâcher, te sauver de cet enfer dans lequel je t'ai plongé, aussi sûrement que je pourrais t'y laisser pourrir jusqu'à ce que tu ne sois plus qu'une carcasse sans aucune volonté..."
Son visage se fendit d'un sourire pervers, ses yeux trahissant une jubilation morbide, mais Jiorg resta impassible.
"Je ne te demanderais pas grand-chose, juste de parler... dis-moi simplement tout ce que tu sais sur un homme que tu as, je le sais, très bien connu... parle-moi de ce cher vieux Bjark..."
"M... maitre Eilert Bjark ?..." S'enquit le prisonnier d'une voix sèche et tremblante.
L'homme aux yeux de glace se mit à rire doucement, et relâcha le menton de Jiorg avant de s'asseoir sur un trône derrière lui, posant un regard avide de connaissances sur l'homme agenouillé tout en arborant un sourire carnassier...

~¤~


"Et qu'est-ce qu'il y a dans cette lettre au juste ?"
"Aucune idée..."
Nous nous étions arrêtés dans une auberge pour dîner, et je le regrettais. Avec un certain dégoût je ne pouvais que regarder mon compagnon de route se "baffrer" allègrement d'un plat composé de choux, pomme de terre et charcuterie, vu qu'il devait tout ignorer du concept de "savoir-vivre". Malgré tout il montrait une impressionnante capacité à enfourner de la nourriture à ne presque plus pouvoir fermer la bouche, et parvenir à tout avaler en un temps record avant d'en remettre. Je déglutis devant ce spectacle peu ragoutant et repoussai mon assiette...
"Quoi ?!" S'exclama-t-il en manquant de s'étouffer. "Mais le vieux Bjark est le conseiller du seigneur Bergen ! Cette lettre pourrait boulversifier plein de choses !!"
"Tu sais, je ne suis qu'un coursier." Dis-je calmement avant de prendre une gorgée de vin. "Orwell, mon mécène, se contente de faire circuler des informations, des secrets, de mettre en contact des personnes précises, et généralement pour de bonnes raisons. D'ailleurs, qui est ce seigneur Bergen ?"
"Il est le maître du royaume de Carlsberg, l'héritier de la famille Grim qui la première a cultivée ces terres. Ils habitent ce qui était une ancienne abbaye, qui a brûlé lors de la révolte contre l'ancien clergé. Bergen dit "le blond" est un seigneur juste, y a pas à se plaindre."

Je jetai un regard depuis notre table vers la fenêtre, l'obscurité ayant jeté son voile sur le bourg. C'était la capitale du royaume, ceinte d'une imposante muraille, percée de plusieurs entrée assez larges pour permettre à d'imposants chariots de passer dans les deux sens, et lourdement protégés par des herses et la milice locale, aux capes et boucliers représentant un phénix, emblème de la famille Grim. De grandes rues pavées traversaient le bourg, se croisant, et entremêlées de ruelles étroites et sombres se faufilant entre les hauts bâtiments de pierres grises, seulement troublé par le fleuve qui le traversait le centre du bourg, enjambé régulièrement par d'élégantes arches de pierres, solides pont permettant de relier les deux rives.

Au centre, une grande place abritait un immense marché, encadré par d'imposants bâtiments, entrepôts appartenant à de nombreuses compagnies marchandes. Important royaume exportant nombres de denrées, notamment des céréales, la capitale du royaume de Carlsberg était évidemment un lieu de prédilection aux échanges commerciaux, et elle était la seule vraie cité qui ne soit pas un port, et servait de centre administratif. Il y avait en conséquence de nombreux lieux de repos tels que l'auberge que nous avions choisi, dont la pancarte annonçait "au poney pimpant".
"On devrait allez se coucher non ?" Demandais-je à mon jeune ami une fois qu'il eut fini son repas.
"Bonne idée Kazuo le poilu, je tombe de sommeil."
"Après tout ce que tu as avalé, tu as besoin de digérer..." Glissai-je en riant à moitié

~¤~


C'est avec le soleil que je m'étais levé, tirant aussi du lit Kettil qui protesta, prétendant qu'un serviteur du Dieu Froux n'avait pas à s'éveiller avec l'astre du jour. Mais j'étais un coursier et l'un des meilleurs, et je me devais de livrer au plus tôt ma missive. L'entrain se lisait sur mon visage alors que je suivais mon guide, qui lui avait l'air plus maussade, comme s'il avait passé une très mauvaise nuit. Nous arrivâmes finalement devant le lieu de résidence de sire Bjark, qui ne ressemblait pas du tout à ce à quoi je m'étais attendu pour le lieu de vie d'un conseiller royal.
"Un maréchal-ferrant ?" Laissai-je échapper, surpris.
"Et un forgeron, le meilleur qui soit. Il a su rester humble malgré son rôle auprès de notre seigneur. Aujourd'hui, il apprend surtout à la jeune génération comment qu'on bat le métal comme il faut."
L'endroit était proche de la grande place, dans l'une des grandes artères, et surtout donnait directement sur la rue, à cause de la chaleur, et permettait de voir le colosse qui martelait avec force le métal sur une énorme enclume, ainsi que l'impressionnante forge rougeoyante et tout le panel d'armes et d'outils accrochés aux murs. Kettil se précipita pour annoncer notre arrivée, et échangea quelques mots avec le forgeron, un homme chauve et bien bâti, qui me semblait peu amical. Fort heureusement, il ne s'agissait pas d'Eilert mais sans doute de son apprenti, qui d'un grognement accompagné d'un geste de la tête nous indiqua la porte du fond.
Derrière un bureau en bois des plus sommaire était assis un vieil homme, qui inspectait des tas de papiers où étaient écrit nombre de choses avec une écriture que je ne pouvais déchiffrer, et des plans d'engins des plus étranges, schémas des plus obscurs. Eilert Bjark avait de longs cheveux blancs encadrant un visage à la peau marquée par le temps, mal rasé et l'air bourru, une imposante cicatrice lui barrant le visage, expliquant pourquoi son œil gauche semblait voilé, comme aveugle. Celui qui lui restait me fixait alors qu'il me regardait en se redressant.
"Vous ne partez pas gagnant, étranger," commença le vieil homme. "Se présenter accompagné de ce nigaud et de sa peluche nuit à votre crédibilité."
"Il n'a fait que me guider sire, car comme vous le supposer à juste titre je viens de loin. C'est mon employeur, Orwell, qui m'envoie vous délivrer une lettre des plus importante."
A ces mots le forgeron fut d'abord surpris, avant d'afficher une certaine colère.
"Je ne veux rien avoir à faire avec ce serpent, et encore moins avaler ces couleuvres. Partez, et que je ne vous revois plus dans ma respectable boutique !"

Assis sur le trottoir en face de la forge, sous le regard mauvais de l'apprenti de Bjark, je me demandais ce que je pouvais faire maintenant que je m'étais fait jeter. C'était bizarre, et ça n'était jamais arrivé auparavant, je n'aurais su dire comment réagir.
"Et bien, t'es pas dans le pétrin toi," souligna Kettil. "Comment tu veux délivrer un message sans même le connaître ? Surtout qu'il veut pas le lire."
Une idée me vint. C'était un peu contraire à mes principes et à ce qu'aurait voulu Orwell, mais je n'avais pas le choix, je devais ouvrir la lettre et la lire, afin d'informer de vive voix Eilert, d'une façon ou d'une autre. Il était de mon devoir d'informer ma cible, et même si ma conscience professionnel m'aurait interdit d'ouvrir ce courrier... ce fut comme si une force irrésistible, teintée de curiosité, m'y contraint. Et quel ne fut pas ma surprise, après avoir ouvert la lettre sous les yeux excités de Kettil, de lire ceci :

"Cher Kazuo,

J'étais certain que sire Bjark ne voudrait pas ouvrir cette lettre, et tu as bien fait de le faire à sa place. L'heure est grave, ce royaume est en proie à d'important changement et il ne tient qu'à peu de choses d'empêcher une tragédie d'une ampleur qui nous dépasse de survenir en ce bas-monde. Sire Bjark est malgré lui impliqué, et il faut se dépêcher. Même s'il ne veut pas te voir, il faut absolument que tu dises à ce vieil entêté que les larmes de Kishin sont en péril et que le Culte est de retour. Il comprendra.
Orwell"


"Et bien, cet Orwell m'a l'air des plus clairvoyant. Froux l'apprécie déjà !"
"Peut-être mais ces paroles m'inquiètent, il est pas du genre à en rajouter. Ça sent mauvais."
"Ah bon ? Pourtant, l'air est frais aujourd'hui."
Un regard inquiété jeté à mon camarade, et j'étais à nouveau debout, déterminé, et je m'avançai vers mon objectif en contournant les charrettes qui passaient dans la rue, mais ma conviction fut ébranlée quand je vis l'apprenti forgeron, l'air mauvais, me signifier du regard que je ne passerais pas.
"Fier héraut à fourrure, sois témoin du pouvoir des cieux !!"
Ce cri nous interloqua tout deux, mon adversaire et moi, quand je vis Kettil bondir devant moi, bras et poing tendus en direction de la montagne de muscle au marteau. Froux se précipita et à son tour prit son élan et sauta sur l'homme menaçant, glissant sous sa tunique et le faisant se tordre en riant, l'animal le chatouillant de ses petites griffes et de sa fourrure. J'étais scié, mais l'illuminé responsable de ce coup de chapeau me donna un coup de coude et m'enjoignit à aller voir le propriétaire des lieux, qui ne fut pas satisfait de me voir débarquer.
"Qu'est-ce que tu fiches ici toi ?! Rhodes !!" Il soupira en voyant le colosse se tordre de rire. "Par amour pour tout ce qui est sacré que me voulez-vous, maudit Eshara ?!"
"J'ai lu le message d'Orwell, et c'est important je vous assure ! Selon lui les larmes de Kishin sont en péril et..."
Le vieil homme m'interrompit, l'air effrayé, et il se précipita brusquement su moi afin de me saisissant par le col.
"Que sais-tu sur les larmes ?..." Siffla-t-il, partagé entre rage et panique.
"R-rien je vous jure, je ne fais que répéter ce que dis le message ! Et je... je dois aussi vous dire que..."
A nouveau je me fis interrompre, mais cette fois-ci ce fut par des bruits d'explosions, retentissant un peu partout dans la ville simultanément, suivi par des cris et des hennissements. Sur la grande place non loin, l'on pouvait entendre la foule commencer à paniquer, et bientôt la terreur envahit les esprits, tandis que de nouvelles explosions retentirent. Parmi les hurlements, on pouvait entendre "Ils sont là", "Les Dieux nous ont abandonnés" et nombres d'autres suppliques. Eilert me lâcha, et je pus voir sur son visage livide apparaître une horreur indescriptible.
"Le... le Culte de la Lune... ça veut dire que..." Le vieil homme recula et manqua de tomber en heurtant la table. "Ça ne devait jamais arriver !!"
Soudain, un homme fendit la foule, un chevalier drapé de noir, portant une armure de plaque frappée d'un croissant de lune sur le torse, brandissant une épée longue et arborant un casque masquant son visage. Kettil rappela Froux et s'écarta, alors que Rhodes, l'apprenti forgeron, brandissant son marteau, tenta d'arrêter l'étranger. Ce dernier avait beau avoir l'air moins impressionnant malgré son armure, et faire une tête de moins que l'imposant colosse, avec une rapidité déconcertante compte tenu du métal recouvrant l'homme il esquiva l'arme improvisée, et d'un coup trancha la tête de l'homme, sans autre forme de procès, avant de continuer à avancer vers Bjark, devenu blême. Le guerrier me regarda, et dans la feinte de son casque il n'y avait que ténèbres. De sa main ganté, il me repoussa sans ménagement, et une voix glaciale et inhumaine résonna du fin fond de l'armure.
"Cela faisait longtemps, Bjark, que nous n'avons pas été face à face."
"Tu dis cela, mais tu te caches derrière cette chose !" Le vieux cracha sur l'armure. "Viens donc en personne !"
"Ne rends pas les choses plus difficile. Tu sais pourquoi nous sommes ici."
"Bergen s'y opposera !! La milice vous stoppera !!"
Un rire guttural résonna avec force dans le métal.
"C'est ton petit protégé qui nous a fait entrer dans la cité. Maintenant, donne-la moi, je sais que tu l'as encore."
Eilert sembla plus vieux que jamais, livide et tremblant. Je ne comprenais pas tout ce qui venait de se dérouler sous mes yeux, mais il me semblait que le seigneur Bergen, dépeint si juste par Kettil, avait fricoté avec ceux qui prenait le contrôle du bourg. J'aurai sans doute du fuir, et ne pas me mêler de cette histoire, mais quelque chose me retenait. Le vieux Bjark contourna la table et ouvrit un grand coffre situé au fond de la pièce. Il en sortit quelque chose qui semblait être une épée, enroulé dans un tissu pourpre. Il se présenta devant le chevalier, mais au moment ou il allait lui donner, il poussa brusquement l'armure, me mit l'épée entre les mains, et me fit sortir de la pièce d'un coup d'épaule avant d'essayer de retenir le guerrier de métal.
"Fuyez loin d'ici !! Fuyez et ne revenez jamais !!"
Alors que je m'éloignais et me mêlais à la foule, j'entendis un cri glacial et inhumain s'élever de l'armure. Je sursautais en me sentant agrippé, mais c'était Kettil qui ne voulait sans doute pas me perdre alors que nous nous mêlions à la foule. Une sensation m'électrisa et me coupa le souffle un moment, et je mis cela sur le compte de l'émotion. Mais, si je m'étais retourné, j'aurai vu, au même moment, qu'Eilert, encore en prise avec l'armure animée, fut pris de convulsions, avant que son corps ne se mette brusquement à vieillir en quelques instants, ne laissait après quelques instants que ses vêtements et de la poussière...

Nous fûmes retenus par les gardes qui tentaient d'empêcher la populace de fuir la cité et d'échapper à ce "Culte de la Lune" qui cherchait sans doute à s'imposer. Toutefois la chance nous sourit car les miliciens laissèrent quelques personnes passer, sans que l'on ne sache pourquoi, et d'autres se ruèrent à leur suite, nous deux compris, avant qu'ils ne puissent reprendre le contrôle de la foule. Les gens se dispersèrent et Kettil et moi nous mîmes à courir, jusqu'à être à bout de souffle. J'avais toujours l'épée enveloppée dans le tissu à la main, mais aussi la tête ailleurs, trop pour y penser. Après une bonne dizaine de minutes de marche, nous arrivâmes devant le bosquet où la veille j'avais rencontré pour la première fois l'illuminé, et sans même nous concerter nous décidâmes de nous arrêter.

Nous n'étions pas les seuls, car une femme était déjà assise dans l'herbe, et elle se releva promptement en nous voyant.
"Kettil ?"
"Asdis ! Quel bonheur de te..."
Froux eut le bon réflexe de sauter au sol avant que la jeune femme ne colle son poing dans la figure de mon comparse, l'étalant sur le sol avec une facilité déconcertante.
-Moi qui croyais que la journée ne pouvait pas être pire... Souffla-t-elle, éreintée.

Rédigé par Maitre Renard

15/03/2013

L'écorcheur de Lune ~ Prologue

~ Val l'Ancienne ~


La Guerre du Chaos -aussi appelé Grande Guerre, Terreur Divine, ou Impensable Foutoir- est un événement ayant eu lieu environ un siècle avant l'établissement du calendrier affraral, quelque part pendant période Sahnkrym du calendrier hrugrak, et servant de point de départ à l'ère du Renouveau du cycle Impérial. Il ne reste que très peu de textes antérieurs à cette période, et les rares écrits font états de plusieurs races qui n'existent plus, et dont il ne reste que des vestiges épars : les plateaux Sauloré, les cités d'Ay, les antiques cryptes Azuréennes, le grand temple E'radip... L'on a que très peu d'informations sur cette guerre, mais elle ravagea tout le monde connu, et certains textes Affraraly prétendent que les Dieux eux-mêmes prirent physiquement part au conflit, et que certains moururent lors du conflit ; la Tombe d'Argaräk devrait son nom à une divinité déchu, tout comme son climat.
Les connaissances antérieures furent donc perdu, hormis un librarium Affraral à moitié incendié, une grande partie de la collection impériale, ainsi qu'un grand nombre de rouleau E'radip ; ces derniers sont néanmoins totalement illisible, leur écriture atypique n'a jamais été appris par une autre race, et ayant été tous exterminé, personne n'est en mesure de comprendre leur langue. Les Hrugrak, fortement impliqué dans le conflit, aurait pu donner des récits très détaillés des événements, mais les incessantes guerres intestines n'aidèrent pas la transmission du savoir, qui chez eux est exclusivement orale.
Toutes les races furent impliqués dans la guerre, dont on ignore précisément les causes, et les répercussions furent bien entendu importantes : les E'aradips, Ay, Saulorites, furent exterminés, les humains virent leur terre natale devenir inhabitable, et les Affraraly ainsi que les Hrugrak virent leur population décimée. On ignore si des peuples plus marginaux, tel que les Micéléens, les Mariauls et les R'razrag'ak, prirent part au conflit ou non, et les éventuels conséquences que cela aurait eu.
L'apparition des Erashas marqua la fin de la guerre, cette nouvelle race émergeant avec à sa tête Yggdrasil et les Neufs, qui conjurèrent les Dieux et mirent fin à tout les conflits ; cette dernière partie étant relaté plus en détail dans les légendes d'Yggdrasil l'Arbre-Monde.
Après la guerre s'ensuivit une période obscure, où se succédèrent famines, épidémies, et errances, le temps que se reconstruise la société. Les Affraraly retrouvèrent leur forêt natale dévastée par des incendies, les humains durent s'exiler de ce qui devint la tombe d'Argaräk, et les Hrugrak mirent des décennies à construire des navires satisfaisant pour les ramener sur leur archipel lointain. Les Erashas quant à eux, s'éparpillèrent à travers le monde, pour veiller à ce qu'aucun autre conflit n'éclate ; Yggdrasil s'installa dans un territoire inoccupé, au pied des montagnes du nord, et continua à surveiller le monde, tandis que l'une des Neufs, Val, administrait la ville naissante.


Extrait de "La grande Histoire du Monde"
Année 404, auteur inconnu
Traduit de l'affraral par Gog'eul


~ ¤ ~


La grande cité du Nord, Val l'Ancienne, fier fief du peuple Erasha, se dressait devant mes yeux. Perdu dans la verdoyante nature, au pied des immenses pics de l’Épine Dorsale, elle affichait ses rues pavés de pierres blanches de part et d'autre du fleuve Drashym les maisons étaient de pierres beiges et de tuiles rouge, un peu partout une végétation abondante faisait vivre la ville de mille couleurs durant les saisons chaudes. Et tout autour de ce charmant endroit, sur des jours e des jours de marches alentours, il n'y avait que des prairies, des bois, des étangs, et quelques fermes de pierres grises qui cultivaient au gré des saisons les fruits de la terre pour subsister. Tout transpirait la tranquillité, et la paix... autant dire que je n'y resterais pas longtemps.
Mes pas résonnaient dans le crépuscule, produits par des bottes de marches en cuir, peu discrètes mais très confortables, et si mes vêtements étaient assez passe-partout, simple ensemble pantalon et chemise -néanmoins tissé avec de la laine provenant de béliers paissant sur les hauteurs E'radip- avec passé par-dessus une veste longue, en cuir Mariaul d'après le vendeur, ainsi qu'un sac en bandoulière fait de toile imperméabilisé ; si tout cela donc m'assurait une certaine discrétion, une allure de voyageur comme il y en a tant d'autres, ma chevelure d'un roux flamboyant et mes yeux dorés sont nettement moins oubliable...
De plus, j'appartiens à la race des Erashas, et si nous autres avons une apparence plus ou moins semblable aux humains, des caractéristiques animales viennent nous en différencier, et dans mon cas, mes oreilles sont celles d'un renard, et le bas de mon dos se prolonge en une élégante queue recouverte de fourrure tout aussi voyante.
J'observais, en silence, les commerçants débarrasser les étals qu'ils avaient installés sur la rue principale, et progressait tranquillement. Quelques personnes me saluèrent, et je leur rendis avec grand plaisir ; j'étais chez moi ici, dans la plus grande cité de mon peuple, et je m'y sentais à l'aise. Néanmoins, chaque fois que je regardais l'une de ces personnes, mes semblables, je voyais leur vie, le quotidien, ces journées répétés, ponctués de petits riens. J'admirais cette force, ce bonheur que pouvait apporter une vie bien remplie.
Une femme accueillie sur le perron son mari en l'étreignant, et cela fit naître en moins une pointe de regret ; hélas, je n'étais pas fait pour une telle vie, mon cœur rêvait de voyage, d'aventures, de voir du monde... depuis une quinzaine d'années environ, je vagabonde, et retourne fréquemment en ces lieux, retrouvé une personne bien précise, et à cette fin, je bifurquais soudainement dans une rue parallèle, me déplaçant avec aisance dans les ténèbres.
"Orwell ? Orwell ! C'est Kazuo ! Répond !"
J'étais dans une ruelle sombre, derrière l'entrepôt désaffecté où mon contact vivait. C'était un être nocturne, à l'allure reptilienne, que l'on nommait Erasha Serpent ; leur sang était glacé, et peu appréciait leur compagnie. Pourtant, Orwell avait un certain charme animal, son visage serpentin recouvert d'écailles noirâtre comme le reste de son corps, lui donnait une étrange beauté prédatrice, tout comme sa voix râpeuse qui me faisait hérisser les poils de la nuque, mais que je ne pouvais m'empêcher d'écouter.
"Tu repars bien vite, Kazuo..."
Je sursautais. Caché derrière une poubelle, l'on m'observait dans l'ombre... Son petit plaisir, me surprendre malgré toute mes précautions, et il était maître en matière de dissimulation, à défaut d'être doué pour les travaux physiques, il faisait marcher astucieusement son cerveau ; en témoigne le réseau d'informations très influent qu'il avait su mettre sur pied, sans bouger de sa cité. Et j'étais l'un de ses coursiers, le meilleur d'après ses dires. Ce petit travail m'assurait de bons revenus, et l'occasion de voyager avec un but, une destination, ainsi que des contacts un peu partout.
Mais pour l'heure, Orwell se dressait devant moi, emmitouflé qu'il était dans une robe noire à capuche, ne pouvait dissimulé l'éclat rougeoyant de ses iris, ni le sifflement de sa langue alors qu'il humait l'air ambiant. Un léger silence s'installa, car il me mettait toujours un peu mal à l'aise, avant que je ne me décrispe.
"Oui, oncle Iky est pénible quand il s'y met, et je préfère largement voir du pays. Où allez-vous m'emmener cette fois-ci ?"
"J'ai un ami, dans le royaume de Carlsberg, qui attend quelques nouvelles de ma part. Tu pars sans plus tarder."
"Et où habite-t-il ?"
"Tu le trouveras dans le bourg de Kronen, la capitale. Il te suffit de suivre la route de l'est. Maintenant file mon ami !"
Je ne me le fis pas dire deux fois. Il me tendit une lettre que je fourrai dans mon sac, et m'en retournai chez mon oncle, prendre une bonne nuit de sommeil avant de répondre à l'appel de la route.

~¤~

L'air était lourd, saturé de poussière, et Jiorg avait une respiration lente et difficile. Depuis combien de temps était-il enfermé ici, dans cette geôle humide ? Il avait depuis longtemps perdu cette notion, attaché au mur par une lourde chaîne. Avant il avait été un jeune homme plein d'ambition, qui venait de s'établir comme forgeron. Maintenant, il ne restait plus rien de lui, juste un corps famélique et un esprit pourrissant dans l'obscurité. Jiorg luttait pour garder ses souvenirs, et un peu espoir, mais ce n'était qu'une mince lueur qui tremblotait dans l'obscurité. Il n'avait plus que son nom, que le geôlier prononçait pour le réveiller et servir les restes qui lui serviraient de repas.

Cependant... quelque chose changea soudainement dans la lancinante monotonie dévorante de ces lieux. Les torches du couloir n'éclairaient que très peu et laissaient l'obscurité régner en maître, mais une source de lumière bien plus forte vint chasser la noirceur, et il put entendre les cris de ses semblables, dont les yeux étaient blessés par l'éclat étranger. Lui-même fut aveuglé, et ne vit pas le visage des hommes qui le libérèrent de ses fers, avant de le soulever et le traîner hors de sa sordide cellule. Jiorg se laissa faire, il n'avait pas la force de lutter. Ses tortionnaires parlèrent, et eurent quelques rires, mais cela échappait à sa compréhension. Plus aucune volonté ne l'animait, il n'était qu'une coquille vide, une carcasse dépourvue de substance...


Rédigé par Maitre Renard